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sur le feu. » Franchement ce ne sont là que d’indignes commérages de cabinets particuliers, et l’essentiel est que les suggestions relatives à la Belgique n’aient jamais été écoutées à Paris, ni après ni avant Sadowa.

Cette tentative hardie et bruyante a pu plaire un instant au génie brouillon qui conduit aujourd’hui la fortune des Hohenzollern ; elle ne change pas le rôle de la France dans la crise qui s’ouvre. Ce rôle est aussi simple que sérieux ; il exclut toute idée de conquête ou de menaçante prépondérance. La Belgique, on le sait bien, n’a rien à craindre, elle est en sûreté de notre côté, sous les garanties des déclarations récemment faites à l’Angleterre, et ce n’est pas même contre l’Allemagne, quoiqu’elle soit aujourd’hui tout entière sur pied, que nos armes sont dirigées. En vérité, ce n’est point un vain mot que l’empereur a mis dans sa proclamation au peuple français, lorsqu’il a dit que nous ne faisions pas la guerre à l’Allemagne. Quel intérêt aurions-nous à menacer ou à diminuer l’indépendance germanique, à prétendre imposer aux Allemands l’ancienne confédération ou une confédération nouvelle ? L’Allemagne est parfaitement libre de constituer sa nationalité comme elle l’entendra, et la guerre actuelle n’a certes point le caractère d’une intervention sournoise dissimulant l’arrière-pensée d’entraver les transformations qui s’accomplissent au-delà du Rhin. Entre la France et l’Allemagne, également grandes, ayant chacune un génie distinct, il ne peut y avoir ni animosités permanentes ni jalousies vulgaires, il n’y a que des malentendus d’un moment fomentés par une ambition intéressée à rallier autour d’elle toutes les surexcitations patriotiques en faisant croire à toute sorte de projets de conquête. Ce que la France est réduite à combattre aujourd’hui, ce n’est pas cette grande nation germanique qui vit par le travail, par la paix, par l’intelligence, c’est cette politique qui n’en est plus à dissimuler ses desseins de prépondérance, qui fait de l’Allemagne elle-même une conquête à son profit, qui depuis quatre ans assiège la France de ses armemens, de ses forteresses, de ses menaces, de ses défis, et crée en Europe cet état de tension violente où l’on est toujours à se demander d’où va venir l’orage. Ce que la France poursuit de ses vœux comme de son épée, ce n’est pas la conquête, c’est la sécurité dans des frontières mises à l’abri de toute insulte, c’est une paix sérieuse qui puisse durer, où sa grandeur naturelle puisse se déployer paisiblement, sans être obligée de se cuirasser, sans menacer les autres, sans être exposée elle-même, et c’est ce qui fait que cette guerre, qui « devait nécessairement éclater tôt ou tard, » que la France n’a point provoquée, garde et gardera le caractère d’un acte de protection et de défense pour les intérêts européens comme pour les intérêts français.

Pourquoi la guerre a-t-elle été si subitement populaire et a-t-elle entraîné le pays tout entier ? Justement parce qu’on sent que l’ambition n’est point dans notre camp, qu’elle est dans le camp prussien. C’est la