Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/755

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

force morale qui précède la force de nos bataillons. Qu’on admette le succès de nos armes : pour quel intérêt, pour quelle indépendance, pour quelle sécurité cette victoire est-elle une menace ? Nous sommes dans cette condition heureuse d’avoir à stipuler pour les autres bien plus que pour nous-mêmes, et l’hypothèse la plus exagérée, qui serait celle d’une garantie plus efficace de notre frontière du nord-est, n’a rien certes qui puisse inquiéter les patriotismes. Qu’on admette au contraire le succès de la Prusse : on peut bien compter que son appétit grandira avec sa situation, et qu’elle ne se tiendrait pas pour satisfaite de ce qu’elle a. On ne l’a pas retenue en 1866, on n’a pas pu l’arrêter dans ses envahissemens pendant ces quatre ans de paix ; on ne pourrait assurément pas la retenir après une victoire nouvelle, qui exalterait son orgueil en faisant d’elle la première puissance du continent. Le Danemark serait définitivement et inévitablement perdu. On a beau lui promettre aujourd’hui ce qu’on a refusé de lui rendre depuis quatre ans ; le Danemark sait pour l’avoir éprouvé ce qu’il peut attendre de la Prusse, la foi qu’il peut attacher à une parole venue de Berlin, et, quelque envie qu’ait l’Angleterre de retenir le cabinet de Copenhague, elle n’a pas pu lui donner une garantie particulière qui, au moment présent, serait une infraction à la neutralité dans laquelle elle se renferme elle-même. L’Angleterre peut peser sur le Danemark, elle ne peut guérir sa blessure, pas plus qu’elle ne peut lui faire oublier ce qui l’attendrait le jour où le drapeau français cesserait de le protéger de loin ou peut-être de près aujourd’hui. La Hollande ne serait pas moins exposée, elle resterait immédiatement livrée à ces convoitises prussiennes qui cherchent une issue vers la mer, qui rôdent depuis longtemps autour du Zuiderzée, et qui trouveraient certes de bonne prise les colonies néerlandaises. Ce qui reste de populations allemandes à l’Autriche ne tarderait pas à subir l’attraction de la victoire prussienne, et l’empire austro-hongrois en serait bientôt pour quelque démembrement nouveau. L’Allemagne du sud elle-même, que deviendrait-elle ? Elle achèverait certainement de disparaître. La Bavière serait singulièrement naïve, si elle comptait beaucoup sur la promesse que la Prusse paraît lui avoir faite de lui laisser son indépendance ; ce serait dans tous les cas probablement l’indépendance de la Saxe. Les Allemands du sud sentent bien le péril ; aussi témoignaient-ils une joie singulière le jour où l’on pouvait croire un instant que la crise serait conjurée par la renonciation du prince de Hohenzollern, ils ne se souciaient guère d’être enrôlés dans l’armée prussienne. Peut-être en se hâtant, en donnant aussitôt toutes les assurances qui sont dans l’esprit de la politique française, aurait-on pu à ce moment fugitif retenir tout au moins la Bavière et le Wurtemberg. L’Allemagne du sud a été entraînée par la pression venue de Berlin. Maintenant il faut attendre. C’est à la première bataille de faire revivre chez les Allemands du sud ce sentiment inquiet d’une indépen-