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pareils effets sont obtenus ! La voix de Marie Sass, cette voix de clairon, toute blindée qu’elle soit, n’y résisterait pas trois semaines. Que dis-je ? empêchez donc la poudre d’éclater, essayez de refuser à tout un public qui se lève en masse ce surcroît d’émotion que la musique seule peut donner ! Le premier soir Marie Sass se tenait prête sans que le programme eût parlé. Vous la voyiez pâle, immobile, se détacher comme un bas-relief d’arc triomphal de la coulisse qui lui servait d’appui, et qu’elle quitta pour saisir le drapeau dès que le tocsin du troisième acte de la Muette eut sonné. Si par malheur une défaillance l’eût prise, tout ce qui a une voix, une âme dans cette vaillante troupe fût accouru, mais la fière Africaine n’entendait céder à personne sa nouvelle création. Qui souffrait amèrement de cette imperturbable bonne volonté du chef d’emploi ? c’était Mlle Hisson ; la pauvre Agathe du Freyschütz a dans le gosier, elle aussi, sa Marseillaise qui l’étouffé. Pourquoi ne lui laisserait-on pas la faculté d’aller chercher ailleurs sa délivrance ? Tant de scènes réclament des voix à cette heure, que l’Opéra devrait mobiliser sa troupe ; cela ne servirait-il qu’à empêcher les virtuoses de cafés-concerts, les gardeuses d’ours et les femmes à barbe d’entonner le chant national d’une voix dès longtemps enrouée par d’ignobles refrains. « Rien n’est sacré pour un sapeur » est une ritournelle qu’on aurait tort en ce moment de trop vouloir mettre en pratique. Il faut au contraire qu’il y ait en musique de ces incompatibilités, et que chanter à certains jours solennels l’hymne de la France reste le privilège de ceux qui dans la vie ordinaire ne fréquentent que l’école du grand art.


F. DE LAGENEVAIS.


LES FORÊTS DES MAURES.

Le corps législatif vient de voter une loi ayant pour objet de réglementer l’exploitation des forêts dans la région des Maures et de l’Esterel, afin d’empêcher les incendies qui, chaque année, y font des ravages considérables. Voici, d’après une brochure publiée à ce sujet par M. de Ribbe, et d’après l’enquête officielle faite sur les lieux par M. Faré, directeur-général des forêts, les circonstances qui ont conduit le gouvernement à prendre ces mesures exceptionnelles[1].

La région des Maures, ainsi nommée à cause du séjour qu’y firent les Sarrasins, du VIIIe au Xe siècle, comprend toute la zone des terrains primaires de la Basse-Provence, sur le littoral de la Méditerranée ; elle forme une chaîne de montagnes schisteuses séparée par la vallée de l’Argens de la chaîne de l’Esterel, dont les porphyres rouges semblent, entre Fréjus et Cannes, émerger des profondeurs de la mer. Cette double chaîne de montagnes qui court dans la direction du sud-ouest au nord-est, sur une longueur de 110 kilomètres et une largeur de 35 kilomèt.,

  1. Des incendies de forêts dans la région des Maures et de l’Esterel, par M. Charles de Ribbe, 1869. — Enquête sur les incendies des forêts dans la région des Maures et de l’Esterel, 1869.