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en guerre, les meetings de s’organiser, les orateurs de tonner contre l’invasion, les vieilles parodies du culte et de la hiérarchie catholiques de recommencer dans les rues, et pour repousser l’agression papale lord Russell s’empresse de présenter un bill menaçant sur les titres ecclésiastiques. M. Gladstone fut du petit nombre de ceux qui, dans cet accès de déraison universelle, gardèrent leur bon sens. Il osa soutenir que tant de mouvement contre un pouvoir désarmé et sénile était ridicule, qu’il n’y avait de la part du pape qu’un acte de discipline spirituelle et non pas un empiétement sur l’autorité temporelle, que le temps était passé de protéger l’église anglicane par la législation, et qu’enfin, le pape eût-il commis une indiscrétion blâmable, il n’y avait pas de justice à punir les catholiques anglais d’une faute dont ils n’étaient pas responsables. Était-ce bien le rigide théoricien de l’église nationale et l’avocat de ses prérogatives qui parlait ainsi ? Désormais pour lui la liberté passait donc avant l’orthodoxie ; il voyait dans la liberté, en religion comme en économie politique, la véritable force et la meilleure des garanties. D’un bond, il se jetait en dehors des courans passagers de l’opinion, dans une voie nouvelle, loin des traditions de parti et des préjugés conservateurs.

La seconde manifestation anticonservatrice de M. Gladstone n’était pas moins caractéristique : je veux parler des deux lettres, datées de Naples, qu’il écrivit à lord Aberdeen en 1851. On se rappelle l’émotion qu’elles produisirent en Europe. C’était un conservateur un ancien ministre, un homme d’état entouré de la plus juste considération, d’un caractère irréprochable, d’une véracité au-dessus de tout soupçon, qui racontait ce qu’il avait vu. Il dénonçait en termes indignés à l’opinion un monde de violences, un gouvernement qui tendait des pièges à ses propres sujets, qui déshonorait la civilisation en se jouant de l’humanité et de la justice. La réaction à laquelle l’Europe était en proie ne put étouffer les formidables échos que ce cri de pitié, jailli d’un cœur généreux, éveilla partout. Le gouvernement napolitain eut beau protester, mettre en mouvement ses écrivains à gages, prodiguer les apologies : les noms de Poerio, de Settembrini, d’Agresti, de Faucitano, de Romeo, de Pironti, de Nisco, recommandés par M. Gladstone à la sympathie, furent plus éloquens. Nul doute que cette réclamation retentissante en faveur de la justice n’ait contribué à préparer de loin les succès de M. de Cavour. L’Angleterre applaudit, lord Palmerston adressa les lettres de M. Gladstone à ses agens et les chargea de les soumettre aux gouvernemens près desquels ils étaient accrédités, les journaux libéraux firent des avances à l’auteur. « Pour ne rien celer, disait l’un d’eux, nous envions à son parti un homme dont nous avons souvent admiré les talens et dont la générosité de sentimens