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s’enquérir d’un mode d’exécution efficace. On convient que les deux armées n’ont pas assez de points de contact, qu’elles ne se sentent pas assez souvent les coudes, pour employer un mot familier. Pourquoi alors n’avise-t-on pas ? Sont-ce des moyens que l’on cherche ? En voici un à la fois simple et sûr : des exercices en commun d’où nos marins sortiraient plus aguerris et nos soldats plus agiles. Ce serait en outre un précieux élément de discipline, ce qui ne gâte jamais rien. Administrés ainsi, avec un peu de poudre et beaucoup de mouvement, nos équipages en prendraient plus complètement le goût. Il fallait voir, après la petite guerre de Mers-el-Kebir, combien ils étaient radieux et contens de leur journée.


IV

Nous avons brièvement analysé les conditions matérielles dans lesquelles s’est trouvée en 1868 et 1869 l’escadre d’évolutions ; faut-il dire maintenant quel esprit y régnait, quel souffle l’animait et l’anime sans doute encore dans les mains du vice-amiral Fourichon ? C’était la volonté de bien agir, si les circonstances l’y appelaient, d’agir surtout avec ensemble ; c’était de la part des capitaines et des officiers de tout rang, non-seulement l’art, mais le ferme dessein de se soutenir mutuellement, sans autre considération que l’honneur du pavillon et l’intérêt du service. Il semble que voilà un devoir étroit et le moins que puisse faire un homme qui porte l’épaulette. L’histoire dit cependant que ce devoir a souvent été méconnu par les plus illustres capitaines. On remplirait des pages à citer les récriminations échangées entre gens de mer, et qui ont atteint les plus hautes renommées. C’est à qui s’attribuera les victoires et déclinera les échecs. Ruiter se plaint d’avoir été abandonné par Tromp, et Tromp adresse le même reproche au vice-amiral Sweers. D’Estrées accuse Duquesne et à son tour est accusé par Martel. Keppel et Palisser se traduisent mutuellement à la barre de l’opinion publique, de Grasse traîne son armée tout entière devant un conseil de guerre, Suffren casse ses capitaines et en trouve à peine quelques-uns qu’il hésite à noter d’infamie, Villeneuve voit à Trafalgar la revanche de la défection qu’il a infligée à Brueys à Aboukir. Partout les mêmes griefs s’exhalent en paroles amères. Il n’y a que Duguay-Trouin et Nelson qui soient toujours satisfaits, et qui, par cela même, ont la plupart du temps sujet de l’être.

C’est la mémoire pleine de ces faits que le commandant en chef de l’escadre d’évolutions traça quelques principes très nets, très catégoriques, pour en empêcher le retour. Il fit pour cela un appel aux sentimens les plus nobles, l’émulation et dans une certaine mesure l’indépendance, qui, bien gouvernée, fait des prodiges.