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époque qui deviendra le principal représentant de l’époque suivante. Les Grecs ne se changent pas en Romains, la civilisation antique ne se transforme point en civilisation chrétienne ; mais dans un pays lointain une race ignorée, longtemps maintenue au dernier rang par les circonstances et la nature des choses qui l’entourent, grandit peu à peu, et succède au type usé qui a donné toute la somme de perfection compatible avec son essence. L’un s’élève tandis que l’autre décroît, et tantôt disparaît entièrement, tantôt s’affaiblit simplement, ou, restant immobile, témoigne à l’avenir des formes du passé. Les Romains prennent la place des Grecs, les Germains celle des Romains, comme les mammifères ont remplacé les poissons et les reptiles, comme ces êtres ont relégué au second rang les mollusques. Il n’y a pas disparition complète, il y a superposition. Le professeur qui raconte aux élèves l’histoire du monde, lorsqu’il arrive aux périodes de décadence des empires, est contraint de remonter en arrière, de montrer sur la carte un point à peine nommé, d’expliquer la composition d’une petite tribu qui s’est accrue lentement et qui vient sur le devant de la scène. Ce point ignoré des géographes, cette tribu innomée pour l’historien, c’est la caverne où le centaure Chiron cherche l’ancêtre des nouveaux hôtes qui viennent reculer au second plan les anciens habitans du globe.

De ce rapprochement, M, Quinet conclut à l’identité des deux histoires, à la permanence, à l’unité des lois qui président au développement des êtres, des peuples, des institutions, et il en donne une série brillante d’exemples ingénieux.

Les civilisations humaines, qui se font et se défont, qui sans cesse sortent de la barbarie pour y rentrer, ne sont jamais absolument identiques. Rien non plus ne se répète dans la nature. Il n’y a jamais deux couches toutes pareilles dans les montagnes. Pas une des générations de pierres entassées ne ressemble absolument à une autre ; le temps ne refait pas deux fois la même roche. Une loi éternelle oblige les hommes, comme la nature, à changer, à inventer toujours. Les comparaisons que nous sommes tentés de faire entre un temps et un autre temps ne sont jamais tout à fait exactes. Les analogies sont toujours superficielles. Ce n’est que d’une manière très générale que l’abbé Galiani a pu dire : « L’histoire moderne n’est que l’histoire ancienne sous d’autres noms. » Les révolutions politiques, comme les révolutions du globe, sont amenées par des causes qui peuvent ne pas beaucoup différer, les résultats en sont pourtant nouveaux. Ces variations s’exercent toutefois dans des limites restreintes, et l’unité de type est vraie partout. L’homme reste identique à lui-même malgré les changemens apparens. Les historiens ne l’ignoraient pas, et appliquaient ce