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diverses données au même animal peut s’expliquer sans que l’on en invoque l’existence préhistorique. Les hommes ne sauraient rien inventer de toutes pièces, et ils sont contraints de se borner à grossir ce qu’ils voient, ou à réunir sur un seul être les dons que la nature a dispersés sur plusieurs espèces. Ils joignent les ailes aux nageoires, les poumons aux branchies. Sans recourir à la paléontologie, on peut ainsi comprendre les fables des anciens, même lorsque ces fables se retrouvent les mêmes chez des peuples divers n’ayant nul rapport. Le même esprit a dû produire les mêmes effets, comme des animaux, semblables à l’origine, ont pu en différens lieux se modifier de la même façon sous l’influence des mêmes circonstances.


IV

Ce n’est point seulement en étudiant l’histoire des peuples et les civilisations que M. Edgar Quinet a rencontré des faits et des lois analogues aux lois et aux faits du développement de la terre. Toutes les sciences s’unissent dans une vaste conception. Selon lui, l’économie politique est soumise aux mêmes règles, et aussi la science des langues, qui ne paraît en rien s’y rapporter. Quel but les économistes poursuivent-ils ? La division du travail. C’est pour eux la condition d’une industrie prospère. La nature donne le même exemple. Chez les animaux inférieurs, la masse du corps remplit toutes les fonctions, sans organes spéciaux, par un simple échange de matières tour à tour empruntées et restituées. Le même organe sert à la respiration, à la nutrition, à la préhension. Un être perfectionné est celui qui possède un organe spécial à chacune de ces fonctions, dans lequel le cœur fait circuler le sang, le poumon respire et les pattes saisissent. Qu’on ne dise point que certains animaux très anciens sont très compliqués, et que d’autres, très récens, sont fort simples. L’analogie ne serait alors que mieux démontrée. Il est vrai que le lis de mer, qui appartient à la formation permienne et triasique, vit dans une coquille composée de plus de trente mille pièces distinctes, groupées de la façon la plus avantageuse pour la satisfaction de tous ses besoins ; il est vrai que les reptiles de l’époque secondaire sont supérieurs au crocodile moderne, et que les cétacés, tout mammifères qu’ils soient, sont fort imparfaits. D’abord la complication n’est pas toujours un indice de perfection. Ce qui est compliqué inutilement précède souvent ce qui est simple, comme on dit qu’en littérature la poésie est antérieure à la prose, comme les remèdes composés de substances nombreuses ont été employés avant les autres. Le progrès des peuples et de la nature ne peut jamais être représenté par une ligne droite ; c’est une sorte de spirale ascendante qui, tournant sans cesse, semble parfois revenir