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à tout instant. Une très faible partie du globe a été fouillée sur une épaisseur de quelques mètres. L’auteur de la Création lui-même a vu ses idées se modifier d’un volume à l’autre. Une multitude de nos espèces fossiles sont décrites et nommées d’après un seul spécimen, souvent brisé, ou d’après quelques échantillons recueillis dans un même lieu. La classification est donc incertaine. Dans les livres publiés il y a peu d’années, toute la classe des mammifères était considérée comme ayant apparu tout à coup au commencement de la série tertiaire, et aujourd’hui un des dépôts les plus riches en fossiles de mammifères appartient aux étages moyens de la série secondaire. Cuvier disait que les strates tertiaires ne renferment aucun singe, et on en a trouvé dans le terrain éocène en Europe et en Amérique. Ces exemples pourraient être multipliés et prouveraient que de tels fondemens, suffisans pour une science spéciale, sont trop fragiles pour appuyer une tentative si hardie.

L’un de nos derniers exemples rapprochait l’économie politique de l’histoire naturelle. On trouverait aisément dans l’une et l’autre des lois qui semblent contraires. Si la division du travail est pratiquée par les animaux, l’économie même est méconnue dans la nature. Le caractère particulier des productions de celle-ci est la profusion. La production est partout énorme, afin que la reproduction des êtres soit assurée. Ces êtres sont plus multipliés qu’il n’est nécessaire, et l’on serait fort embarrassé d’expliquer par les règles économiques le grand nombre de plantes vénéneuses ou d’animaux malfaisans. Malthus, il est vrai, serait satisfait de voir que la terre ne porte pas plus d’êtres qu’elle n’en peut nourrir ; mais il s’étonnerait de la perte considérable des germes et des semences. Au XVIIIe siècle, on croyait fort au principe de la moindre action, on admettait que la nature va toujours à l’épargne, pour employer une expression peu correcte, quoique fort claire, de Maupertuis. Il n’en est rien. Les végétaux les plus inutiles couvriraient le globe entier, à l’exclusion de tous les autres, si toutes les graines avaient germé ; un seul animal suffirait à peupler la terre, si tous les œufs d’une seule espèce avaient éclos. Une morue peut produire 6,867,840 œufs, une ascaride 64 millions, une seule orchidée à peu près autant de graines. Les économistes recommandent au contraire de ne fabriquer que le nécessaire et d’assurer le placement de tous les produits.

Il est difficile de ne pas aller plus loin, et, malgré tant de ressemblances, de renoncer à cette idée, que la certitude nécessaire à la science a quelque chose de précis, de pratique, de matériel, pour ainsi dire, que les historiens ne connaissent pas. Il est bien vrai que l’histoire est mieux faite aujourd’hui qu’autrefois, et cependant, si l’on en compare les inductions et les affirmations à celles des sciences