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Grande-Bretagne invoquait en sa faveur sont résumés sous une forme brève, mais avec une netteté remarquable, dans une dépêche de M. Thouvenel à M. Mercier en date du 3 décembre 1861. On ne saurait faire un meilleur exposé de la question.

« Le désir de contribuer à prévenir un conflit imminent peut-être, entre deux puissances pour lesquelles il (le gouvernement de l’empereur) est animé de sentimens également amicaux et le devoir de maintenir, à l’effet de mettre les droits de son propre pavillon à l’abri de toute atteinte, certains principes essentiels à la sécurité des neutres l’ont, après mûre réflexion, convaincu qu’il ne pouvait en cette circonstance rester complètement silencieux. Si, à notre grand regret, le cabinet de Washington était disposé à approuver la conduite du commandant du San-Jacinto, ce serait en considérant MM. Mason et Slidell comme des ennemis, ou en ne voyant en eux que des rebelles. Dans l’un comme dans l’autre cas, il y aurait un oubli entièrement fâcheux de principes sur lesquels nous avions toujours trouvé les États-Unis d’accord avec nous.

« A quel titre en effet le croiseur américain aurait-il, dans le premier cas, arrêté MM. Mason et Slidell ? Les États-Unis ont admis avec nous, dans les traités conclus entre les deux pays, que la liberté du pavillon s’étendait aux personnes trouvées à bord, fussent-elles ennemies de l’un des deux partis, à moins qu’il ne s’agît de gens de guerre actuellement au service de l’ennemi. MM. Mason et Slidell étaient donc parfaitement libres sous le pavillon neutre de l’Angleterre. On ne prétendra pas sans doute qu’ils pouvaient être considérés comme contrebande de guerre. Ce qui constitue la contrebande de guerre n’est pas encore, il est vrai, précisément fixé, les limites n’en sont pas absolument les mêmes pour toutes les puissances ; mais, en ce qui se rapporte aux personnes, les stipulations spéciales qu’on rencontre dans les traités concernant les gens de guerre définissent nettement le caractère de celles qui peuvent être saisies par les belligérans. Or il n’est pas besoin de démontrer que MM. Mason et Slidell ne sauraient être assimilés aux personnes de cette catégorie. Il ne resterait dès lors à invoquer, pour expliquer leur capture, que ce prétexte, qu’ils étaient porteurs de dépêches officielles de l’ennemi. Or c’est ici le moment de rappeler une circonstance qui domine toute cette affaire et qui rend injustifiable la conduite du croiseur américain. Le Trent n’avait pas pour destination un port appartenant à l’un des belligérans. Il portait en pays neutre sa cargaison et ses passagers, et c’était de plus dans un port neutre qu’il les avait pris. S’il était admissible que, dans de telles conditions, le pavillon neutre ne couvrît pas complètement les