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longtemps encore nous envier ces ressources navales. Nous occupons en outre une colonie qui, formant une exception presque unique dans l’histoire de la colonisation, est pour nous en temps de guerre un appui sérieux. Par sa position voisine de notre sol, par la population guerrière qu’elle nourrit et qui consent volontiers à combattre sous nos drapeaux, par les qualités surtout qu’elle développe dans les soldats qui y séjournent, l’Algérie est un précieux secours pour la France ; chaque jour elle le devient davantage. A mesure que la population civile augmente et que l’époque de la conquête s’éloigne, elle exige moins de troupes métropolitaines pour le maintien de l’ordre, et elle alimente avec plus d’abondance ces corps africains dont il est superflu de faire l’éloge.

Plusieurs des avantages que nous venons de signaler pourraient cependant nous échapper dans un temps plus ou moins prochain, si nous n’y faisons pas attention. Il ne faut pas regarder la supériorité actuelle de notre marine comme une conquête définitive et sans retour. Notre attention au contraire doit être portée au plus haut degré à la conservation de cette suprématie navale, que diverses circonstances pourraient compromettre. La marine militaire d’un peuple est nécessairement dans un certain rapport avec la grandeur de sa marine marchande : une nation qui a beaucoup de navires de commerce arrive toujours, avec du temps, de la persévérance et des sacrifices pécuniaires, à créer une flotte de guerre. Or, c’est un fait triste à constater, l’Allemagne du nord l’emporte sur nous, si ce n’est par le nombre, du moins par le tonnage de ses vaisseaux marchands. Nos côtes sont, il est vrai, beaucoup plus étendues que les siennes. Elles embrassent 2,460 kilomètres, celles de la confédération germanique n’en ont que 1,635. Nous avons de plus ouverture sur trois mers, et nous pouvons commercer facilement avec l’Amérique, avec l’Orient et avec les pays Scandinaves. Et pourtant l’effectif de notre marine marchande ne compte que 1,042,811 tonneaux, tandis que la confédération de l’Allemagne du nord offre un tonnage de 1,307,204. La différence est notable et mérite qu’on s’y arrête. On a trop l’habitude de ne considérer que les forces militaires, sans tenir compte de ces ressources primordiales qui alimentent les forces militaires elles-mêmes. A coup sûr une marine de guerre ne s’improvise pas. Néanmoins l’exemple des États-Unis dans la guerre de sécession prouve que l’on peut créer en quelques années une redoutable puissance navale quand on possède la matière première, c’est-à-dire des navires de commerce et des ; marins. Dans la lutte où nous sommes engagés, la Prusse a jeté le germe d’une institution qui est peut-être appelée à un certain avenir. Elle a fondé pour la défense de ses côtes une sorte de