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prisons, et surtout du fort de Junquiera, furent ouvertes, et il en sortit des centaines d’infortunés qu’il y avait successivement accumulés, et dont l’existence dans cet enfer avait été une lente torture. Leurs souffrances, empreintes sur leurs visages livides, leurs rides précoces, leurs cheveux blanchis avant l’âge, étaient aux yeux de la population de Lisbonne une accusation vivante contre le despotisme et les rigueurs du ministre qui les y avait jetés. Le marquis d’Alorna et ceux des Tavora qui n’avaient pas péri de la main du bourreau déclarèrent ne pas accepter la grâce qu’on leur offrait et demandèrent des juges, qu’ils n’avaient pas eus. On les leur accorda. Ils furent reconnus innocens et rentrèrent dans les avantages dont ils avaient joui. Ils sollicitèrent alors la révision du jugement des membres de leur famille qui avaient été exécutés ; il fut fait droit à leur requête.

La déclaration des nouveaux juges, personnages considérables et en grand nombre choisis tout exprès, fut que, seuls, le duc d’Aveiro et ses domestiques s’étaient rendus coupables de régicide. Mais il est une circonstance qui diminue l’autorité de cette sorte de jugement ; les juges ne se réunirent qu’une seule fois, dans le palais de la reine, qui les avait fait convoquer avec ordre d’en finir sans désemparer. Il est curieux que peu de temps après, au moment où l’on s’y attendait le moins, le procureur de la couronne en appela, et fait ainsi un obstacle à ce que le jugement fût publié, et à plus forte raison suivi d’effet. Quoique les paroles de M. Gomès soient fort ambiguës, on peut attribuer la démarche du procureur de la Couronne au désir qu’avait le gouvernement d’empêcher les jésuites de profiter de la déclaration qui, par sa formule même, les reconnaissait implicitement innocens de l’attentat du 3 septembre 1758.

Pombal, se voyant en disgrâce, avait offert sa démission ; elle fut acceptée par un décret royal du 14 mars, trois semaines après la mort de Joseph Ier. Le décret était conçu en termes bienveillans, presque flatteurs, et lui conservait son traitement, en y ajoutant même deux commanderies ; mais ce n’était qu’un répit. Le flot de la réaction et des vengeances devait monter chaque jour. En effet chaque jour c’étaient de nouveaux pamphlets contre le ci-devant ministre. La reine, cédant à d’opinion, décida, sur l’avis de son conseil, que Pombal subirait un interrogatoire juridique sur divers faits avancés dans un mémoire justificatif qu’il avait publié. Décision significative : il était clair que l’heure des ménagemens était passée, on faisait tourner contre lui ses efforts pour se défendre. Deux juges commissaires se rendirent à son château de Pombal pour les interrogatoires. Ils commencèrent le 9 octobre 1779. De ce jour, Pombal est un accusé. Il avait quatre-vingts ans, sa santé