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une mesure où l’on sent encore la mâle fermeté de l’homme d’action qui ne s’émeut pas des incidens de guerre, qui ne se laisse pas aisément déconcerter. Le maréchal Bazaine, le nouveau commandant en chef de notre armée, se défend comme un lion, livre batailles sur batailles autour de Metz et ne dit rien. Le maréchal Mac-Mahon rompt à peine le silence par un ordre du jour à ses soldats, et son rapport le plus significatif sur les affaires du commencement du mois est en vérité cette laconique dépêche où, en annonçant qu’il s’était battu et qu’il avait perdu la bataille, il demandait qu’on lui envoyât des munitions et des vivres. Le général Trochu, qui a été élevé au poste périlleux de gouverneur de Paris en présence de la possibilité d’un siège, le général Trochu parle un peu plus ; mais il agit heureusement, lui aussi, avec une habileté et une énergie qui suffiraient sans autres commentaires à inspirer la confiance. C’est entre les mains de ces hommes que sont aujourd’hui les destinées du pays, et ils ont montré jusqu’ici qu’on pouvait tout attendre de l’impulsion qu’ils donnent à la défense nationale. Ils n’ont pas repoussé encore l’invasion, les malheurs de ce genre ne se réparent pas d’un seul coup ; ils lui ont fait sentir le bout de leur épée, ils lui ont tracé des limites en attendant de la rejeter vaincue et impuissante hors de nos frontières.

Les Prussiens se promènent en maîtres orgueilleux dans la Lorraine et dans l’Alsace, nous ne le savons que trop : ils ont franchi la porte que nous leur avons ouverte par le morcellement mal calculé de notre armée et par l’incertitude de nos premières combinaisons, si tant est qu’il y eût des combinaisons ; mais en définitive, depuis ce premier moment, depuis que la guerre a été en des mains faites pour la conduire, quels avantages si grands ont donc obtenus les armées du roi Guillaume ? Elles ont poussé de tous côtés des reconnaissances qui ne trouvaient personne devant elles, et qui n’ont eu d’autre mérite que de montrer partout la lance des uhlans ; elles ont occupé et ruiné des villes qui ne se défendaient pas. Quant à celles qui pouvaient se défendre, elles ne les ont pas prises. Où sont donc en tout cela les succès réels et décisifs de la stratégie prussienne ? Eh ! sans doute l’ennemi est en France, et il ne devrait pas y être, mais cela ne décide en rien de l’issue de la campagne. Jusqu’ici, il y a eu deux opérations d’une gravité inégale, — l’une cette apparence de marche en avant du prince royal qui a préoccupé plutôt qu’alarmé Paris, — l’autre cette tentative violente des deux autres armées prussiennes pour forcer les positions du maréchal Bazaine autour de Metz, et aucune de ces opérations n’a réellement réussi. À vrai dire, la marche sur Paris n’était probablement qu’une feinte, et de toute façon elle ne pouvait être sérieuse dans les conditions où elle s’accomplissait. Le prince royal s’exposait tout simplement à voir se fermer derrière lui les routes de l’Allemagne, et il savait bien dans tous les cas qu’il rencontrerait une résistance dont il n’aurait pas facilement raison.