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qu’il voulait. Avait-il primitivement le dessein de se retirer sur Verdun et sur Châlons ? C’est bien possible. Il n’a pas tardé dans tous les cas à y renoncer pour manœuvrer autour de Metz dans les positions qu’il a choisies. Par son habileté, par son énergie au combat, il a tenu en échec pendant toute une semaine les deux armées prussiennes, il leur a infligé des pertes terribles, et en restant inexpugnable, en forçant les Allemands à lui faire face, il a laissé au maréchal Mac-Mahon le temps d’achever la reconstitution d’une armée nouvelle qui est maintenant sur la Meuse. Voilà le résultat : pour les Prussiens, c’est une occupation stérile maintenue au prix d’une immense déperdition de forces ; pour nous, c’est la possibilité d’une jonction entre Bazaine et Mac-Mahon sur de nouveaux champs de bataille. Nul doute que les forces des deux maréchaux ne soient désormais à portée de combiner leur action, et cette fois du moins la lutte ne s’engage plus dans des conditions trop cruellement inégales. C’est en apprenant ce mouvement de l’armée partie de Châlons que le prince royal a quitté brusquement la route de Paris, et s’est replié avec le gros de ses forces par l’Argonne pour aller au secours des armées prussiennes de la Moselle affaiblies par les récens combats. Le prince royal arrivera-t-il à temps ? La question en est là ; elle est peut-être tranchée en ce moment. De toute façon, les événemens nous pressent, ils peuvent être décisifs. Si la victoire couronne les combinaisons de nos maréchaux et l’héroïsme de nos vaillantes troupes, c’est l’invasion vaincue et véritablement refoulée d’un seul coup hors de nos frontières ; mais lors même que les soldats de Mac-Mahon et ceux qui sont autour de Bazaine trouveraient encore une fois la fortune infidèle, ou n’auraient pu que disputer le terrain dans une action indécise, la défense nationale n’en serait point irréparablement atteinte ; ce serait un incident de guerre qui ne pourrait avoir qu’une influence limitée. Notre armée est assez puissante pour en imposer à l’ennemi, pour se refaire et se remettre en campagne. Les Prussiens auraient dans tous les cas payé chèrement l’avantage de rester devant nous. Après des affaires comme celles du 16, du 18 août, ils seraient aussi embarrassés que nous pour se dégager, pour reprendre leurs mouvemens ; ils se retrouveraient toujours entre Paris, qui les attendrait de pied ferme, et notre armée d’opération qui aurait bientôt sans nul doute repris sa consistance et son élan pour se jeter à leur suite.

Ce que nous voulons dire, c’est que malgré cette apparence d’audace qui a marqué jusqu’ici leurs mouvemens, malgré ce qu’il y a de cruel pour nous dans leur présence sur notre sol, les Prussiens ne sont pas aussi avancés qu’ils le soient. Évidemment ils n’ont pas fait ce qu’ils voulaient. Leur stratégie a été déconcertée par l’indomptable vigueur du maréchal Bazaine, qu’ils s’imaginaient peut-être briser en passant ou qu’ils espéraient immobiliser sans laisser toutes leurs forces devant lui. Ils se sont vus engagés dans une campagne qui déjouait leurs