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pour tout un fleuve, qu’elle ne trouverait pas davantage une compagnie qui voulût entreprendre une telle œuvre. Cela est certain. Il faudra vous résigner, dans les premières années, à quelques sacrifices pour encourager les gens, il faudra leur faire entrevoir d’abord une bonne affaire, si vous voulez qu’ils se risquent ; mais là n’est pas la grande question. Comment voulez-vous qu’ils aillent travailler, ensemencer, dépenser pour ne pas récolter ? Et cette partie supérieure du cours des fleuves qui leur échappe ? et les mille petits cours d’eau qui se jettent dans cette partie ? croyez-vous que ces gens ne sachent pas que là remontera toujours le meilleur et le plus pur de leur poisson ? En vérité, ils seraient bien fous de ne travailler que pour les autres. Notre législation rend donc impossible toute amodiation sérieuse de nos cours d’eau. Ce ne sont pas les compagnies qui peuvent manquer, c’est la loi qui est défectueuse.

On a cru trouver un remède : par une disposition nouvelle, la loi dernière réserve à l’administration le droit de mettre en jachère certaines portions des cours d’eau. Sans vouloir blâmer cet essai, il faut bien se persuader que les résultats attendus seront nuls, absolument nuls, et rien n’est malheureusement plus aisé que de le prouver. Or ceci est grave, car cette mesure est à peu près la seule conservatrice, la seule tendant au repeuplement que la loi ait introduite. À ce point de vue, elle importe beaucoup au sujet que nous traitons, qui est, ne l’oublions point, la nécessité de songer au repeuplement de nos eaux et la recherche des moyens efficaces d’y arriver en présence d’une éventualité de disette comme celle qui vient de se produire. D’abord il était impossible d’accepter comme certain que la protection seule fût efficace à produire un repeuplement assez exubérant pour combler les vides un peu éloignés. En l’admettant, qu’aurez-vous fait ? Vous aurez rendu un peu meilleure la première pêche de l’amodiateur d’aval ou d’amont. Quand il aura de nouveau vidé son bief, épuisé son tronçon aussi complètement que ses voisins, vous recommencerez l’interdiction ? C’est précisément là une culture, une vraie culture alternante ; c’est l’aménagement des cours d’eau, mais timide et voilé ; tandis que nous nous demandons à l’étudier et à le pratiquer au grand jour.

Là n’est pas, — depuis que la surveillance de la pêche et les essais de pisciculture sont réunis dans la même main, forte et habile, de l’administration des ponts et chaussées, — là n’est pas cependant la plus grande difficulté. A la rigueur, une fois la loi modifiée, de grands, d’importans résultats pourraient être obtenus sur la majeure portion de nos fleuves et de nos rivières principales ; mais que fera-t-on pour le reste, pour cette portion privée, si je puis m’exprimer ainsi, qui succède à la partie publique ? Ici, afin de conserver une certaine clarté aux yeux des personnes non initiées aux