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excursion dans la montagne de Soubeibeh, nous revînmes au plateau boisé où nos tentes avaient été dressées pour la nuit précédente : ce fut notre point de départ. Un pont enguirlandé de plantes grimpantes très touffues et du plus beau vert, une fontaine où les habitans venaient s’approvisionner d’eau, le ravin abrupt et irrégulier où courait la source grandissante qui allait devenir le Jourdain, un autre pont précédé d’un fortin ou tête de pont dans les murailles duquel étaient engagés de nombreux fûts de colonne (suivant l’habitude vandale des croisés), en un mot tout ce qui frappait notre vue au sortir de la Césarée de Philippe était si caractéristique, si pittoresque, rappelait si éloquemment tant de souvenirs divers, que nous ne pûmes descendre dans la plaine sans regarder souvent en arrière. Nous avions peine à quitter cet obscur et étrange coin du monde, limite bizarre, mais charmante, entre la haute contrée des montagnes et le sol classique de l’histoire d’Israël.

Aussitôt qu’on a laissé Banias derrière soi, on est en pleine terre biblique, et dès lors les noms et les lieux rappellent partout au voyageur les faits et les légendes de l’histoire juive.


II

A travers les bois de jujubier, nous arrivons bientôt à Tell-el-Kadi. Il y avait là, dit-on, au temps d’Abraham, une ville bâtie dans le cratère éteint d’un volcan. Ses fondateurs l’appelaient Laïch. Prise par les Hébreux sous Josué, elle fut allouée à la tribu de Dan et en porta le nom. Ce nom, qui veut dire juge, reparaît dans la désignation moderne ; Tell-el-Kadi signifie en arabe tertre du juge. Un tertre, une source, voilà tout ce qui reste de Laïch. Les eaux qui pendant des siècles ont abreuvé une cité ne nourrissent plus que deux arbres magnifiques, un chêne et un frêne. Plus loin, elles forment un petit lac tout bordé d’un épais fourré de menthes. Cette eau est considérée comme la seconde source du Jourdain ; elle est délicieuse de limpidité et de fraîcheur. La tentation de faire une longue halte en ce lieu était grande, mais les nécessités de l’itinéraire adopté pour la journée nous forcèrent d’y renoncer. Il faut s’être senti rôtir ou plutôt calciner à grand feu par le soleil d’Orient, il faut avoir respiré cette atmosphère de fournaise dépouillée de toute trace d’humidité, pour apprécier la valeur, le charme indicible des eaux courantes sous un ciel embrasé, sur une terre aride. En revanche, quelle riche végétation au bord d’un de ces cours d’eau ! quelle verdure touffue, fraîche et ombreuse, luxuriante et grasse ! Ces plantureux feuillages exercent toujours une attraction presque