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irrésistible sur le voyageur haletant, lorsque les pierres incandescentes lui brûlent les pieds et lui envoient au visage des réverbérations qui le torréfient.

Nous arrivâmes le même jour à Hounîn, château du moyen âge dont il reste de grandes salles obscures. Il est admirablement situé sur une éminence d’où l’on voit à rebours le même paysage qui le matin nous avait ravis. Un bois touffu de chênes verts couvre le penchant de la colline que nous gravissons, et d’où la vue va s’étendant toujours plus loin. A nos pieds se déroulent une longue vallée où serpente le Jourdain, le lac Houleh, qui semble une lame d’argent ; tout encadré d’herbes paludéennes, en arrière s’élève le mont de Banias, dont le château n’est plus qu’un point blanc. L’Hermon se dresse sur un plan plus éloigné ; au-delà, l’Antiliban se hérisse de cimes, et à gauche apparaissent le Col des Cèdres et les crêtes rosées du Liban.

Ce beau panorama cependant ne nous retint guère. Nous étions attirés par l’ancien sanctuaire de la tribu de Nephthali, dont le nom même signifie un lieu saint (Kéclès ou Kadech). Nous y vîmes les ruines de deux édifices religieux, probablement juifs, et une plateforme en terrasse sur laquelle étaient réunis de nombreux sarcophages. Quelques-uns, chose rare, sont à deux places, et ont dû contenir deux cadavres couchés côte à côte, mais séparés par une cloison taillée à même dans le bloc. Cette ville, entourée de térébinthes comme au temps de Jahel, la perfide héroïne du Livre des Juges, a laissé des vestiges plus considérables qu’aucune autre cité galiléenne. C’était à la fois une cité lévitique servant en partie d’habitation à des familles de lévites et une ville de refuge. Le vengeur du sang (Goël), c’est-à-dire le plus proche parent d’un homme assassiné, n’avait pas le droit de poursuivre le meurtrier dans cette enceinte consacrée, institution humaine qui dans la législation mosaïque tempérait les cruautés de la loi du talion. Il est difficile de décider à quelle époque appartiennent les ruines de Kédès. Des jambages de porte hauts de 20 pieds indiquent une construction juive, une synagogue sans doute. Néanmoins des colonnes, des chapiteaux dérivent de l’art grec ou romain. Ce lieu n’est pas encore assez connu ; des fouilles bien dirigées pourraient y donner des résultats importans.

Kédès est célèbre comme la patrie de Barak, le chôfet (suflète), juge ou plutôt chef militaire, qu’inspirait la prophétesse Deborah. Cette dernière était, comme on sait, un poète admirable dont il nous reste un fragment plein d’éclat et, il faut l’avouer, de férocité. Josèphe l’historien, qui nomme cette ville Cydessa et Kedasa, l’appelle « un village méditerranéen de Tyriens, toujours en guerre avec