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sentinelles anglaises à Gibraltar. Elles transportent ce toit de distance en distance, à mesure que leur ouvrage avance. Autour d’elles jouaient des enfans absolument nus. Elles étaient vêtues de longues robes en coton bleu ou rouge ; leur menton était tatoué de bleu, et leurs lèvres entièrement bleues, ce qui est un usage général des femmes du pays et les enlaidit étrangement. Elles portaient sur chaque joue et sur le front ces gros bourrelets de pièces d’argent, souvent européennes, que nous avions vus par toute la Syrie. Ce mélange singulier de sauvagerie et de civilisation chez des hordes nomades étonne le voyageur. Une manufacture de tapis en plein vent, un atelier de tissage qui se déplace perpétuellement le long de la chaîne à mesure que la trame est faite, voilà assurément un système fort éloigné de nos mœurs industrielles ; il a du reste un avantage, il est certainement plus sain que le travail de nos fabriques.

Nous ne parlerons pas longuement de Nazareth. Après les vives impressions que nous avaient laissées le lac de Tibériade et ses rivages, ce n’est pas sans désappointement que nous vîmes les mesquines et plates inventions des moines dans cette ville où Jésus a vécu trente ans, et où même, selon une opinion souvent soutenue, il est né. On y montre deux églises de l’Annonciation, l’une grecque, l’autre latine. Suivant que vous êtes orthodoxe (gréco-russe) ou catholique (romain), vous êtes prié de croire que l’un ou l’autre de ces deux édifices est bâti sur l’emplacement même de la maison de Marie. On vous montrera l’endroit précis où elle se trouvait à l’instant où l’ange la salua, et la place non moins précise qu’occupait Gabriel, le messager céleste. Dans l’église des Latins, on voit de plus un objet assez étrange qui a passé longtemps pour miraculeux. Une colonne faite de trois morceaux a été brisée probablement par un tremblement de terre ou peut-être dans un des sièges que la ville a soutenus ; le soubassement et le tiers inférieur du fût sont à leur place, l’autre tiers et le chapiteau restent suspendus à la voûte. Il est vrai que ce tronçon aérien n’est plus bien solide, et qu’on l’a raffermi avec un gros crampon de fer très visible. C’est probablement depuis ce temps que cette colonne a passé à l’état de simple curiosité. Elle a été pendant longtemps montrée par les moines à titre de miracle.

Tout cela se voit dans une grotte ou crypte au-dessus de laquelle est bâtie l’église des franciscains. Cette église est décorée avec le goût le plus pitoyable. Sur des rideaux d’étoffe à mille raies rouges et jaunâtres sont accrochés fort haut deux anges en bois peint, de grandeur naturelle, qui font semblant de soutenir un mauvais tableau représentant la salutation angélique. Des oripeaux misérables, des objets absolument étrangers à toute espèce de sentiment de