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primitive, à laquelle il était cruel d’astreindre des vieillards, et que nous avons blâmée au dépôt de Villers-Cotterets, où elle est encore employée, fut maintenue jusqu’en 1857. À cette époque, elle céda la place à un manège tourné par des chevaux, qui, ne donnant point de résultats satisfaisais, disparut à son tour devant l’installation d’une machine à vapeur. Celle-ci donna facilement 280,000 litres d’eau en dix heures ; mais, cette quantité ne suffisant pas encore, la Seine fournit 150,000 litres, et l’aqueduc d’Arcueil 50,000. Cette masse énorme est reçue dans de magnifiques réservoirs voûtés qui, s’ils ne rappellent pas Bin-Bir-Direck, la citerne aux mille et une colonnes de Constantinople, n’en sont pas moins d’une construction très habile, disposés de manière à conserver dans toutes les conditions de salubrité possible 1,139,005 litres d’eau, qui suffisent largement aux exigences de Bicêtre, dont la consommation n’est que de 400,000 litres par jour.

C’est une ville que ce Bicêtre ; il couvre plus de 21 hectares de superficie (212,959m,50 c). Lorsque nous l’avons visité, il contenait 2,981 habitans. Il y a plus d’une sous-préfecture de seconde classe qui n’est pas aussi peuplée. Plantées en quinconces, sous lesquels les pensionnaires trouvent des bancs pour se reposer, les cours sont entourées par des portiques qui offrent un lieu de promenade et un abri pendant le mauvais temps. Dans la journée, tout le monde est éveillé dès sept heures du matin en hiver, dès six heures en été. Comme il faut avoir soixante-dix ans accomplis ou être frappé d’une infirmité incurable pour être admis dans l’hospice, on peut imaginer que les administrés, c’est ainsi qu’on les nomme, ne sont point positivement ingambes. Assis par groupes ou se promenant à pas lents, appuyés sur une canne, ils sont presque tous déjà courbés vers la terre, qui les réclame. Quelques-uns, se tenant raides encore malgré leur grand âge, marchant les épaules effacées et la tête droite, n’ont pas besoin de montrer leur médaille de Sainte-Hélène pour prouver qu’ils sont d’anciens soldats. Ceux-là s’arrêtent volontiers ; du bout de leur bâton, ils dessinent des lignes sur le sable et s’animent en parlant. Si on les écoute, on les entend dire : « Le maréchal passa au galop, son chapeau tout de travers, il se tourna vers nous en criant comme un possédé ; » ou bien : « A peine avons-nous le temps de nous former en carré, voilà ces diables de dragons qui reviennent. » Ces vieux braves se racontent, sans se lasser jamais, leur dernière bataille. Laquelle ? Waterloo.

Parmi les vieillards admis en hospitalité à Bicêtre, les plus nombreux sont les septuagénaires, 328 ; de soixante-quinze à quatre-vingts ans, le chiffre diminue déjà, 209 ; de quatre-vingts à