Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 89.djvu/334

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

améliorés depuis une trentaine d’années, sont très beaux, éclairés par de larges fenêtres et dans de bonnes conditions de salubrité. Comme on a voulu éviter l’encombrement, et que cependant il était indispensable de donner aux pensionnaires quelques meubles où elles pussent serrer leurs vêtemens, tous les lits sont munis d’un grand tiroir et accostés d’une baraque, sorte d’armoire en chêne qui recèle les mille petits ustensiles si chers aux femmes. Lorsque la porte de ces capharnaüms est entr’ouverte, on aperçoit des fioles, de vieux pots de pommade, des tasses à demi pleines de salade, des sucriers, des coquetiers, des soupières ébréchées, et un tas d’autres inutilités qui composent le mobilier personnel de ces pauvres vieilles. Dans plus d’une de ces baraques s’élèvent de petites chapelles ornées de Vierges en plâtre, de fleurs de clinquant, d’images coloriées, devant lesquelles repose un bénitier. Près d’un lit occupé par une femme très âgée, j’ai vu un portrait à l’huile qui n’était pas absolument mauvais, et qui représentait de grandeur naturelle la tête d’une petite fille morte couronnée de roses blanches. J’ai regardé la femme, elle m’a compris, car, à la muette question que je lui adressais, elle a répondu : « C’est ma fille, voilà soixante ans que je l’ai perdue, je n’ai jamais quitté son portrait. » Ses yeux se mouillèrent, et elle ajouta : « C’est tout ce que j’ai sauvé du naufrage. »

Les anciens dortoirs, qui pour la plupart sont situés sous les combles, devraient être démolis et bâtis à nouveau. Ils sont en contradiction flagrante avec tous nos établissemens hospitaliers. Il y en a qui sont trop étroits, beaucoup trop bas de plafond, trop peuplés, où les lits se touchent sans intervalle, et qui de plus sont littéralement empoisonnés par le voisinage de certains lieux mal aménagés et tout à fait rudimentaires. On pourrait croire que les pensionnaires apprécient les dortoirs neufs, et qu’elles considèrent comme une faveur d’y être admises ; loin de là, elles semblent ne rechercher au contraire que les coins obscurs où elles peuvent échapper plus facilement à la surveillance. Deux dortoirs, qu’on a surnommés l’un la Forêt-Noire et l’autre la Chambre-des-Treize, font l’objet de leur envie ; elles assaillent l’administration de demandes pour obtenir d’être placées dans ces salles privilégiées, qui sont au dernier étage des deux bâtimens en façade sur la cour d’entrée : le bâtiment Mazarin et le bâtiment Lassay. La perspective à cette hauteur est à la vérité splendide : elle embrasse tout Paris jusqu’aux collines de Belleville, de Saint-Cloud et de Meudon ; mais les vieilles sont blasées sur ce spectacle, que la faiblesse de leur vue leur rendrait du reste indifférent. Ce qu’elles aiment dans ces deux chambres, ce sont les chambres mêmes, qui cependant ne sont point