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croisière contre les Américains du nord, et que ceux qui ne veulent pas le suivre peuvent s’en retourner. Ce nouveau corsaire, qui s’appelait la Georgia, ne fit guère au reste parler de lui.

Ainsi le procédé était toujours le même. Le capitaine Bullock, qui semble avoir été en Angleterre l’instigateur de tous ces arméniens, bien que son nom ne parût pas dans les procédures, faisait construire ou acheter des navires qui avaient l’apparence de bâtimens de commerce, puis il les expédiait sur lest, et il envoyait à leur suite de petits bateaux à vapeur chargés d’armes et de munitions ; le transbordement s’opérait en pleine mer ou sur une côte où la surveillance des puissances neutres était en défaut. Cependant, après avoir été trompée plusieurs fois, l’amirauté anglaise devint plus vigilante. En juillet 1863, elle mit en séquestre deux bâtimens cuirassés que MM. Laird construisaient à Birkenhead. Ces armateurs avaient d’abord annoncé qu’ils étaient destinés au gouvernement français ; mais, informations prises, l’inexactitude de cette déclaration devint évidente. Ils soutinrent alors que le vice-roi d’Égypte en avait fait la commande ; mais le vice-roi fit savoir à son tour qu’il était étranger à l’affaire. On finit par découvrir que ces deux navires avaient été commandés par le capitaine Bullock, et que celui-ci, voyant que son rôle devenait trop difficile à cacher, les avait vendus à un spéculateur français bien connu par ses relations avec le vice-roi d’Égypte et avec les confédérés. Quand MM. Laird voulurent faire sortir leurs navires cuirassés de la Mersey pour un voyage d’essai, le capitaine du port leur signifia qu’ils auraient à emmener un détachement de matelots et de soldats de la marine royale. Ce voyage n’eut pas lieu. Cependant il n’y avait pas moyen de prouver que les deux bâtimens fussent destinés aux rebelles, seule cause qui en eût justifié la saisie. Le gouvernement anglais résolut la difficulté à ses propres dépens ; il les acheta au prix de 12 millions de francs.

Il serait trop long de relater les cas nombreux où le cabinet britannique dut intervenir, le plus souvent sans succès, pour faire obstacle aux arméniens occultes des confédérés. Le gouvernement français lui-même eut souvent à se tenir en garde contre les manœuvres subreptices du capitaine Bullock. Toutefois on ne cite qu’un seul corsaire confédéré qui soit sorti des ports français, et encore ce fut à la suite de marchés successifs qui en firent perdre la trace. L’odyssée de ce navire est assez singulière pour être racontée tout au long. Un armateur de Bordeaux, dont les sympathies pour les états du sud n’étaient pas cachées, construisait six navires de guerre, dont deux cuirassés. Sur la réclamation de M. Dayton, ministre d’Amérique à Paris, le gouvernement fit surveiller avec soin les