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ment instinctif dont tout le monde a été plus ou moins complice, la révolution a été consommée sans conflit, sans effusion de sang. Le corps législatif, envahi par les masses populaires, n’avait pas même le temps de poursuivre la délibération commencée sur cet interrègne qui venait de s’ouvrir. L’empire n’existait plus, et par le fait le seul pouvoir resté debout, c’était un gouvernement provisoire formé de tous les députés élus à Paris, allant, selon la tradition, à l’Hôtel de Ville, où il ramenait la république exilée depuis vingt ans.

Après cela, nous en convenons, ce n’est pas un mouvement des plus réguliers, quoiqu’il eût en sa faveur ce qui fait les révolutions légitimes, la nécessité pressante et invincible. C’est toujours évidemment, une chose dangereuse que les violations des assemblées, ces coups d’état de la multitude alternant avec les coups d’état des dictateurs. N’aurait-il pas mieux valu que le nouveau gouvernement sortit d’une délibération du corps législatif, que la révolution s’accomplît en quelque sorte par la force légale, par la déclaration de vacance du pouvoir ? M. Gambetta, avec son tact supérieur, le sentait bien lorsqu’il s’efforçait de contenir la foule et de faire respecter la liberté des délibérations parlementaires. Certainement la proposition que M. Thiers avait faite et qui tendait au même but par une autre voie, dont le résultat était une révolution nécessaire sanctionnée par les représentans légaux du pays, cette proposition suffisait sans rien compromettre, et au fond la république elle-même était peut-être la première intéressée à ne point trop se hâter de saisir cette redoutable occasion qui s’offrait à elle ; mais ce n’est plus de cela qu’il s’agit. L’essentiel était qu’il se formât aussitôt un gouvernement patriotique animé de la pensée du pays, représentant la France devant l’ennemi qui s’approche. Ce gouvernement, né des circonstances les plus extraordinaires, à la fois parisien et national, existe aujourd’hui, et il se résume dans quelques noms faits pour parler à l’opinion, le général Trochu, qui représente particulièrement tout ce qui est action militaire, M. Jules Favro, qui s’est chargé de notre diplomatie dans ces cruels momens, M. Gambetta, qui a pris la direction du mouvement intérieur, M. Ernest Picard, qui a dans les mains le nerf de la guerre, les finances. Ce gouvernement, par une inspiration heureuse, a pris le plus beau nom dont on pût se couvrir en ce moment ; il s’est appelé, il s’appelle le gouvernement de la défense nationale, et si l’on a pu dire autrefois avec un ingénieux bon sens que la république était ce qui nous divisait le moins, la défense nationale est un de ces mots d’ordre faits pour rallier bien plus sûrement encore toutes les volontés, tous les dévoûmens, toutes les coopérations. Le patriotisme a le privilège de faire pâlir toutes les vaines querelles, d’élever les âmes au-dessus des passions vulgaires, et M. Henri Rochefort lui-même qui, comme, député de Paris, est passé de la prison ou il était encore à l’Hô-