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l’aube du jour jusqu’après le soleil couché et mènent une vie dont certainement nos laboureurs ne s’accommoderaient pas en Angleterre. Ils sont sobres, durs à leur corps ; ils rognent sur chaque sou qu’ils amassent… » D’après l’honorable voyageur, l’aspect que présentent beaucoup de villages est celui d’un dénûment farouche ; on y lutte pour la vie, ce seul objet entretient les pensées. Adoucissez quelques traits un peu durs, et dans les récits de ce spectateur désintéressé vous trouverez la réalité des faits.

Aussi est-ce de bien loin et de bien bas que les malheureux villageois apprécient les événemens qui ne se passent pas à l’ombre du clocher. Le monde extérieur est entrevu confusément par eux comme une machine immense et singulière dont les ressorts ne se laissent pas découvrir. Ils ne se doutent point de ce qui est l’âme et la vie des nations ; ils sont les comparses obscurs d’un drame dont ils n’entendent pas le premier mot. Ce qu’ils savent le mieux, c’est qu’ils sont mécontens et qu’il est dur de creuser le sol, surtout quand on n’en est pas possesseur. Au-dessus d’eux, ils rangent ce qui reste de la société humaine dans une catégorie détestée, enviée et crainte, qui se compose des rentiers, des propriétaires, des gens en place, en un mot de tous ceux dont le travail ne courbe pas l’échine et qui n’ont pas les mains calleuses. Enfin, bien au-delà et au-dessus encore de cette foule privilégiée, trône le souverain, élu du peuple et maître de tous. Leur conception ne va pas plus loin. Interrogez-les sur la forme du gouvernement, sur le rôle que joue dans l’état le député ou le préfet, sur leurs propres droits d’électeurs et de citoyens, vous obtiendrez d’eux les réponses les plus surprenantes. En fait d’histoire du pays, leurs notions sont aussi vagues ; il n’est pas nécessaire d’en présenter ici la grossière esquisse. À quoi cela tient-il ? Assurément à une profonde ignorance, et nous devons dire qu’on a entretenu à plaisir dans cette ignorance l’immense majorité des Français. Quelque tranchée que cette assertion paraisse, nous la tenons pour vraie, et nous ajoutons que le gouvernement impérial qui vient de tomber, le plus coupable de tous sans nul doute, puisqu’il reposait sur le principe du suffrage universel, ne fut pas cependant le seul coupable.

Depuis quarante ans environ, il faut le reconnaître, quelques ministres ont fait de grands efforts, suivis de succès différens, pour propager l’enseignement primaire en France. Sans remonter plus haut que le second empire, nous nommerons M. Duruy, l’homme qui, dans ces dernières années, s’est rendu le plus populaire auprès des instituteurs, bien que sa bonne volonté se soit souvent agitée dans le vide. On n’ignore pas d’ailleurs que M. Duruy n’a rencontré que des sympathies médiocres chez ses collègues du sénat, dont plusieurs même ne lui ont pas ménagé de désagréables épithètes ; il n’importe, par ses soins la situation des maîtres a été relevée et rendue meilleure, de nouvelles écoles se