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actifs de la puissance des missionnaires. Celui-ci refusa d’obéir à l’ordre du chef du district, et par ses menaces, par d’insolentes protestations, voulut, non content de ne pas obéir, entraîner la plupart des Indiens à imiter sa conduite. Suatélé montra d’abord une grande patience ; mais, poussé à bout, il finit par chasser du village le catéchiste protestant, puis, pour rendre son expulsion définitive et attester par un fait matériel cette expulsion, il fit, suivant l’usage samoan, brûler la case de l’Indien coupable. M. Williams fut bien vite informé du fait ; soit erreur, soit à dessein, prenant la maison du teacher indigène pour celle des missionnaires anglais, il évoqua l’affaire à son tribunal, et, sans entendre Suatélé, le condamna à une forte amende. Cette sentence fut signifiée à Suatélé par une lettre qui lui laissait seulement le choix entre rebâtir la maison ou payer cinquante dollars. Satuélé répondit :


« Williams,

« Je t’adresse cette lettre en réponse à la lettre que tu m’as envoyée le 22 mai, par laquelle tu m’as condamné à une amende.

« Il paraît que c’est ainsi que tu fais d’injustes jugemens : tu me condamnes sans prendre aucune information ; moi, je croyais qu’on ne devait condamner qu’après avoir pris une connaissance exacte des faits.

« Comment as-tu pu savoir ce qui s’est passé, puisque nous ne nous sommes pas dit un seul mot ? Tu me dis que j’ai brûlé la maison des missionnaires ; c’est là ton premier mensonge. Eh bien ! je vais te faire connaître ma manière de voir. Dans mon village il n’y a que mon seul pouvoir. Dis-moi quel est le missionnaire qui a fait avec moi un traité par lequel je lui ai accordé de faire sa maison sur ma terre ? Moi-même je ne le connais pas du tout.

« Cette maison-là, c’est mon village qui l’avait faite ; or mon pouvoir s’étend sur le terrain et sur tout ce qui s’y trouve, et je peux, sans l’ombre d’injustice, y punir ceux qui se révoltent contre mon autorité. Je vois bien quels sont les motifs qui t’ont porté à me condamner avant de m’avoir entendu.

« Au reste, tu es un consul européen, et, comme tel, tu n’as aucune sentence à prononcer dans les démêlés purement samoans, car autre est ton royaume, autre le royaume de Samoa, C’est pourquoi je te somme de me montrer les droits qu’ont les missionnaires sur cette terre et sur cette maison, et, si tu ne le peux pas, je vais supplier le commandant de ton navire de guerre de t’imposer une amende pour te faire payer ton mensonge et ton désir de m’en imposer.

« Voilà tout le contenu de ma lettre. Je te salue.

« SUATELE,

« 15 juillet 1869. »