Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 89.djvu/483

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

seule des parties, et laisse la porte ouverte à des récriminations sans fin.

Les défauts trop évidens d’une telle organisation sociale ont depuis longtemps frappé l’esprit si juste et si éclairé de Mgr d’Enos ; mais les remèdes qu’ils exigent impérieusement seront-ils jamais appliqués ? L’âge n’a point usé les forces du prélat ; seulement le temps ne lui manquera-t-il point ? et après lui qui continuera son œuvre ? Parmi tous ceux qui semblent appelés à lui succéder, aucun ne nous a paru avoir cette force d’esprit nécessaire pour dégager l’action purement humaine qu’ils ont à exercer des préoccupations religieuses du missionnaire et du prêtre catholique. La solitude où ils vivent est si profonde, leur isolement du monde a été jusqu’à ce jour si absolu, qu’il est tout naturel que leur esprit se soit laissé envahir par le côté mystique de leurs croyances. — Les lis ne filent pas, et Salomon dans toute sa gloire n’a jamais égalé leur splendeur ; — cherchez d’abord la vérité, et le reste vous sera donné par surcroît. — Ces maximes et tant d’autres de l’Évangile, où se retrouve le même dédain du travail, de l’effort, cette loi supérieure de l’humanité, semblent seules les inspirer. C’est l’éternel écueil des esprits religieux qu’une lutte forcée ne convie plus à l’action. Marie a choisi la meilleure place, et cependant les soins de Marthe sont-ils à dédaigner ? Pour vulgaires qu’ils soient, ils sont cependant indispensables. Aux Wallis surtout, il est bien temps que cette vérité soit comprise. Si ces îles ont pu jusqu’à ce jour, grâce à des circonstances exceptionnelles, échapper au mouvement qui s’accomplit autour d’elles, l’heure approche où leur solitude va être troublée, où elles devront sortir forcément de leur isolement ; voilà que des Fidji le flot des émigrans européens gronde à leurs portes. Déjà M, Weber, le riche marchand d’Apia, le consul de la confédération allemande, a triomphé des résistances de la reine : à défaut des terres qu’il demandait, des fermes qu’il voulait établir sur le modèle de celle d’Opoulou, il a fondé un comptoir commercial à Mua. Le coin une fois enfoncé au cœur de l’arbre, la brèche une fois faite à la muraille, combien faudra-t-il de temps pour que l’arbre soit abattu, pour que la muraille soit renversée ? Les missionnaires catholiques ont-ils à redouter un tel avenir ? D’aucune manière, si, comprenant le rôle auquel ils sont appelés, ils se mettent à la tête du mouvement, non pour le contrarier, mais pour diriger l’essor des populations vers les destinées auxquelles ce mouvement les pousse. Ces populations ont conservé l’esprit aventureux qui les a mêlées autrefois à toutes les révolutions des archipels voisins, et dont on retrouve les traces jusqu’aux îles lointaines de la Nouvelle-Calédonie. Peuvent-elles plus longtemps rester dans cette