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une partie de la Champagne et pénétré jusqu’aux portes de Reims. L’alarme était à Versailles comme dans le reste du royaume… Les infortunes domestiques du roi, jointes aux étrangères et à la misère publique, faisaient regarder la fin du règne de Louis XIV comme un temps marqué pour la calamité, et l’on s’attendait à plus de désastres que l’on n’avait vu auparavant de grandeur et de gloire. L’esprit de découragement généralement répandu en France, et que je me souviens d’avoir vu, faisait tout redouter… Il fut agité si le roi se retirerait à Chambord, sur la Loire… Une faute que fit le prince Eugène délivra le roi et la France de tant d’inquiétudes. »

Telle est la tradition nationale de ce grand drame, à laquelle la critique s’est trop facilement attaquée de nos jours, mais que confirme l’autorité de monumens nouveaux, restés inconnus à nos contradicteurs. La grandeur du péril, l’influence décisive de la victoire sur la pacification d’Utrecht, sont attestées par les documens les plus irrécusables. Dans la terrible crise où se trouve la France aujourd’hui, il y aura peut-être quelque enseignement utile à tirer de l’étude approfondie de cette histoire, dont nous allons reprendre, sommairement du moins, les principaux détails.

Le testament de Charles II avait donné l’Espagne au petit-fils de Louis XIV. La fortune du grand roi était au comble ; il s’en laissa enivrer. Plus d’une faute fut commise, et une terrible coalition s’ourdit contre lui, sous le motif plausible de l’indépendance de l’Europe menacée. Le destin des combats fut d’abord favorable à la France, puis il sembla nous abandonner complètement. Tout le monde connaît les derniers épisodes de cette guerre de la succession d’Espagne. En 1705 advint le désastre d’Hochstædt, à la suite duquel on fut obligé d’évacuer l’Allemagne. La défaite de Ramillies en 1706 eut pour conséquence notre expulsion des Pays-Bas, et la déroute de Turin nous chassa de l’Italie. Alors la guerre fut portée sur les frontières de la vieille France. Toulon fut assiégé, mais résista ; Lille fut prise, et nous perdîmes encore la bataille d’Oudenarde. L’épuisement du pays était extrême, et, la disette s’ajoutant à ces désastres, l’honneur et la grandeur du règne de Louis XIV furent sérieusement compromis.

Abattu par tant de coups répétés, le vieux roi demanda noblement la paix à des ennemis auxquels il l’avait dictée pendant un demi-siècle. La coalition, éblouie par des prospérités inattendues, abusa de la victoire. Elle était dominée, gouvernée par trois hommes éminens par leur habileté, et tous trois animés en secret d’un même sentiment d’hostilité contre la France : j’ai nommé le prince Eugène, Marlborough et le grand-pensionnaire Heinsius. Le premier avait été blessé au vif par Louis XIV ; le second était un des chefs du parti