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confidentiel très détaillé du marquis de Silly, maréchal de camp dévoué à M. Voysin[1], et dont le témoignage est corroboré par la correspondance de Villars. On y voit, ce qui est triste à dire, qu’en présence de l’audacieuse attaque du prince Eugène et d’une reprise d’hostilités plus vives après la défection anglaise, tandis que l’on avait espéré le contraire, le trouble s’empara des esprits, le découragement pénétra dans les âmes, et le désordre dans les résolutions. Il existe une dépêche de Villars au roi datée de Noyelles le 18. Il a été obligé, dit-il, de lire les ordres du roi pour se faire obéir ; tout le monde avait compté sur la paix, et retournait se battre à contre-cœur. Le même jour 18, Villars écrivait à M. Voysin : « Vous verrez, monsieur, par la lettre que j’ai l’honneur d’écrire à sa majesté, que j’ai été obligé de lire les dépêches à la plupart de MM. les officiers-généraux. Cela était nécessaire. Tous avaient compté sur la paix, et de cette douce espérance on ne retourne pas bien volontiers à l’apparence d’une bataille dont l’extrême conséquence produit bien des raisonnemens. Après cela, si nous en venons à une grande action, je suis persuadé que, le premier coup de canon tiré, tout le monde trouvera son ancienne valeur. »

A Noyelles, on semblait être en excellente position pour faire une pointe sur Denain. La garnison de Valenciennes était encore plus rapprochée de ce dernier poste, et pourtant à Noyelles personne n’a proposé de manœuvrer sur Denain, ni le maréchal de Montesquiou, ni aucun autre. Le secret de l’opération possible était renfermé dans la pensée de Villars et du roi. Quant à Montesquiou, s’il en a connu le projet, ce ne peut être que par les communications du 4 juillet dont j’ai parlé, ou plus tard par des confidences du général en chef en face de Landrecies. Si Montesquiou avait eu, comme l’écrit Saint-Simon, ces instructions particulières de la cour qu’on ne retrouve nulle part, et dont la correspondance de ce maréchal prouve la fausseté, il n’eût pas opiné peut-être, comme il le fit à Noyelles, pour entraîner l’armée vers Landrecies, d’où le retour sur Denain était difficile et périlleux. Le conseil de guerre fut donc d’avis unanime d’aller passer l’Escaut entre Crèvecœur et le Catelet, de marcher vers les sources de la Selle, et de là sur la Sambre, pour y reconnaître et décider quel serait le meilleur parti à prendre. Villars quittait Noyelles avec regret, pour obéir à l’ordre exprès du roi, préoccupé sur toutes choses du péril de Landrecies, et il appréhendait d’aller chercher cette bataille décisive et chanceuse à la fois. Il avait écrit le 17 juillet à M. Voysin : « Je ne sais pas bien, monsieur, quelles seraient les opinions de plusieurs, s’il n’y a pas de bataille ; mais, si je les recueillais présentement, je

  1. Ce rapport est au dépôt de la guerre, vol. 2,380, pièce 5.