Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 89.djvu/545

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
III

Que faut-il penser de la proposition tant de fois renouvelée de créer, dans, l’intérêt, de l’agriculture, un grand établissement de crédit avec la faculté d’émettre des billets au porteur ? Les promoteurs de ce projet soutiennent qu’une institution de cette espèce procurerait aux agriculteurs le crédit à bon marché, et cependant permettrait de donner aux actionnaires un intérêt élevé. Bien n’est plus simple, s’il faut en croire l’auteur du dernier projet qui a été publié sur cette matière. Les fondateurs n’ont qu’à souscrire un capital-actions de 10 millions, et cette somme sera immédiatement placée en rentes sur l’état qui, à 4 1/2, rapporteront 450,000 francs à la société. La Banque émettra pour 10 millions de billets payables au porteur, et, en supposant l’escompte à 4 pour 100, c’est-à-dire à un chiffre moyen, elle retirera de son papier un revenu de 400,000 francs, en tout 850,000 francs. Si elle donne 6 pour 100 à ses actionnaires, — soit en tout 600,000 francs, — il lui restera, pour les besoins de l’entreprise., fonds de réserve, frais d’administration, profits et pertes, un excédant de 250,000 francs. Ainsi, dit en concluant l’auteur de ce projet, on résoudrait un problème dont au premier abord les termes paraissent impliquer contradiction : 1° payer l’argent cher aux actionnaires, 2° le donner à bon marché aux emprunteurs, 3° largement doter les frais d’administration, créer un fonds, de réserve important et ouvrir un crédit suffisant pour l’article des profits et pertes.

Nous ferons remarquer d’abord que tous ces projets auraient à compter avec le privilège que la Banque de France peut invoquer jusqu’au terme éloigné de 1897, et qu’à moins de racheter pour un prix énorme la concession qui lui a été faite, la faculté d’émission ne pourrait légalement du moins, être conférée à aucune autre compagnie. Il est vrai que, dans les départemens où la Banque n’a pas encore de succursale, le gouvernement pourrait autoriser la fondation d’établissemens rivaux ; mais, si elle était sérieusement menacée, la Banque ne tarderait pas à remplir les conditions qui lui ont été imposées par la loi, et nous ajoutons que la loyauté commanderait, avant de lui susciter des concurrens, de la mettre préalablement en demeure d’avoir une succursale par département. Supposons néanmoins que cette objection légale, soit écartée, et recherchons ce que serait en pleine liberté une banque agricole.

L’idée de placer en rentes sur l’état les sommes provenant de la souscription des actions est loin d’être neuve. C’est celle, qui fut pratiquée par le fondateur de la Banque d’Angleterre, William