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lumière est faite. M. de Bismarck n’a point eu recours à de grands subterfuges pour dire ce qu’il veut, et ce qu’il veut, c’est tout simplement le démembrement de notre pays. Avec cette politesse froide et sarcastique qui se permet tout, il a parlé en vérité comme un homme qui croit avoir déjà la France tout entière sous ses pieds, parce que le hasard de la guerre l’a conduit jusque sous les murs de Paris, et qui pousse l’infatuation au point d’imaginer qu’il peut faire la loi, que rien ne peut plus lui résister désormais.

La vérité est que M. de Bismarck tient, à ce qu’il paraît, à ne se ranger d’aucune manière parmi ceux qui font la guerre pour une idée. C’est un homme positif. Faire de la générosité serait parfaitement inutile à ses yeux. La France n’oubliera pas plus Sedan qu’elle n’a oublié Waterloo, qu’elle n’a oublié Sadowa, « qui ne la regardait pas. » Depuis longtemps, depuis des siècles, la France menace perpétuellement l’Allemagne du côté du Rhin. Il faut en finir, il faut que l’Allemagne prenne ses sûretés ; elle ne les aura qu’en restant en possession des deux départemens du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, d’une partie de celui de la Moselle avec Metz, Château-Salins, qui forment un appoint indispensable auquel on ne peut renoncer. « Strasbourg est la clef de la maison, je dois l’avoir, » s’écrie lestement M. de Bismarck, sans se douter qu’il imite tout bonnement le héros célèbre d’un de nos vaudevilles. « Cette malle est-elle à nous ? — elle doit être à nous. » Et voilà qui est réglé. Après cela, si on objecte à ce victorieux inassouvi que l’assentiment des populations dont il dispose ainsi est plus que douteux, que le droit public européen ne lui permettrait pas de se passer d’un titre, on ne le prendra pas au dépourvu ; il a réponse à tout. Le droit public, c’est lui qui le fait, il ne s’en occupe pas ; pour les populations, c’est une autre affaire, quoique cela ne le gêne pas davantage. « Je sais fort bien, dira-t-il, qu’elles ne veulent pas de nous. Elles nous imposeront une rude corvée ; mais nous ne pouvons pas ne pas les prendre : je suis sûr que dans un temps prochain nous aurons une nouvelle guerre avec vous, nous voulons la faire avec tous nos avantages. » Quant à un armistice, il ne s’y opposera pas, si l’on y tient, quoiqu’il n’attende rien de bon de cette assemblée dont on lui parle, et qui voudra la guerre, si elle obéit au sentiment français ; il y met seulement quelques légères conditions : il occupera Strasbourg, Toul, Phalsbourg, puis, au cas où l’assemblée se réunirait à Paris, un fort dominant la ville, « le Mont-Valérien par exemple. » — Quoi ! direz-vous dans un soubresaut d’indignation, le Mont-Valérien ! Pourquoi pas tout de suite Paris ? Comment une assemblée française pourrait-elle délibérer sous le canon prussien ? — Qu’à cela ne tienne, répondra-t-il, l’assemblée se réunira à Tours, on ne prendra pas de gage à Paris ; mais la garnison de Strasbourg, — de l’héroïque Strasbourg, — doit rester prisonnière de guerre : c’est tout au plus en vérité