Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 89.djvu/593

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

séduisante modestie d’attitude, il dépassait déjà dans l’intimité de sa pensée le cercle de ce qui existait, il se considérait lui-même comme une réserve dans des événemens futurs. Quoique dès ces premières années il écrivît dans une lettre récemment divulguée ; qu’il n’était pas « antirépublicain le jour et l’heure donnés, » il ne songeait probablement guère encore à la république. Il étudiait le terrain, il sondait l’horizon, il tenait à se désigner à l’opinion comme un de ces hommes disponibles et préparés à des interventions heureuses qui, en dehors des combinaisons parlementaires du moment, peuvent devenir une ressource dans une heure de crise publique. Je ne veux certes point aujourd’hui suivre pas à pas Lamartine dans toutes ses luttes et ses évolutions, dans ce travail de quinze ans pour se faire une position devant le public, pour conquérir la popularité ; je voudrais seulement ressaisir quelques-uns des traits caractéristiques de cette brillante nature.

En réalité, quel était le fond de la pensée de Lamartine au moment où il entrait dans la vie parlementaire ? quel est son vrai rôle sous cette monarchie de 1830 qu’il devait un jour contribuer si puissamment à précipiter dans l’abîme ? Il ne l’a jamais peut-être bien su lui-même, parce que c’était avant tout un homme d’impression, d’intuition, d’instinct, d’improvisation. Évidemment l’auteur des Méditations avait plus d’une raison de n’être point un ennemi pour cette monarchie constitutionnelle de juillet, reconstruite après un orage de trois jours. Les liens de patronage qui avaient existé autrefois entre la maison d’Orléans et sa famille étaient faits pour le rapprocher de la royauté nouvelle. Au lendemain de 1830, il avait ardemment désiré lui-même, selon son aveu, monter sur la brèche à la suite de Casimir Perier pour défendre la société ébranlée, pour repousser l’assaut qui menaçait de livrer la France aux séditions des rues et à la recrudescence des passions militaires, c’est-à-dire à la révolution et à la guerre. Pendant les premiers temps, il ne laissait entrevoir assurément aucune pensée d’hostilité irréconciliable, et même en certaines circonstances critiques, notamment dans les luttes passionnées de la coalition parlementaire de 1839, il prenait une sorte de plaisir à se constituer le chevalier du ministère de M. Molé, à se porter au secours de la monarchie de juillet contre ceux qui lui faisaient une vie difficile et dure après l’avoir créée. Jusque-là c’était un conservateur par chevalerie ou par coquetterie, si l’on veut, un conservateur libre et indépendant, faisant sa cour à tous les partis au moment même où il défendait la royauté, mais enfin c’était un conservateur par l’attitude comme par le langage.

Il ne faut cependant pas trop s’y méprendre. Sans être un ennemi, Lamartine n’a jamais été précisément un ami pour le régime de