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montagnards ou du moins des chefs de la montagne. Après avoir arboré la pensée généreuse d’écrire une histoire impartiale et morale, de faire dans la révolution la part des grandeurs et des crimes, il finissait par tout confondre dans une sorte d’apothéose. Ses dernières pages ressemblaient à une ode qui étendait « une glorieuse amnistie sur toute la scène, » qui entourait « d’une commune auréole tous les actes et tous les acteurs, » en inscrivant sur eux « une épitaphe de gloire sans choix et sans respect, qui ne faisait justice ni aux uns ni aux autres, en chantant l’hozanna à la révolution… » Ces pages, Lamartine les a depuis désavouées ou expliquées et ramenées à une mesure de vérité plus sévère ; elles révélaient alors la passion d’imagination, l’entraînement, ce qu’il a lui-même appelé un enthousiasme plus poétique qu’historique, et, comme il arrive souvent, c’est moins peut-être par ses qualités que par ses défauts que cette œuvre éloquente, pathétique et décevante enlevait presque violemment le succès.

Les, livres ont leur destin et pour ainsi dire leur date nécessaire. A un autre moment, l’Histoire des Girondins eût été toujours sans doute l’œuvre d’une imagination merveilleuse, elle n’aurait pas eu ce retentissement soudain, elle n’eût pas été surtout un événement politique. A l’heure où elle paraissait, elle tombait indubitablement dans un monde tout préparé, elle répondait à des dispositions indistinctes, et elle faisait plus pour la popularité de Lamartine que toutes les poésies, de même qu’elle faisait plus que tous les discours de parlement ou de banquet pour une révolution possible ; elle mettait la révolution en poésie et en littérature courante. Le retentissement et le sens du livre de Lamartine, je ne les nie pas. Il y aurait peut-être seulement une question curieuse à se faire. Est-ce parce qu’il avait déjà ouvert son esprit à une inspiration toute révolutionnaire que Lamartine avait été conduit à écrire les Girondins ? ne serait-ce pas plutôt en écrivant son histoire, en s’inspirant, en s’enivrant lui-même de son sujet, qu’il aurait été conduit à être plus révolutionnaire le lendemain que la veille ? Toujours est-il que d’un seul coup et par la toute-puissance de son imagination Lamartine avait conquis ce qu’il ambitionnait peut-être le plus au monde, l’ascendant sur les multitudes, la popularité universelle, et il commençait à s’en douter. Je me suis toujours souvenu d’une circonstance que Sainte-Beuve me racontait au moment même où cela venait de se passer, et que je lui rappelais, à rai qui n’oubliait rien, peu avant sa mort. C’était un matin pluvieux de 1847. Sainte-Beuve revenait de l’enterrement du poète Guiraud, où il avait rencontré Lamartine, alors dans le feu des Girondins, mais encore un peu inquiet. Sainte-Beuve, sans goûter beaucoup ce genre de succès, le