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milieu de la foudre et des éclairs qui sillonnaient un ciel d’automne, il semblait allumer la tempête des esprits en la prédisant, le mot de république n’était pas sur ses lèvres, le nom de la royauté n’était ni omis ni supprimé dans ses discours. Il gardait la décence de l’orateur constitutionnel et légal ; mais il aspirait en quelque sorte la révolution, il la laissait éclater dans son geste, dans son attitude, dans ses appels et jusque dans ses précautions de langage. Il concentrait sous la forme la plus éloquente et la plus avouable cette agitation qu’on croyait factice, et qui n’était que le frémissement avant-coureur d’une révolution nouvelle.

Certes, si à ce moment extrême Lamartine, qui croyait si bien lire dans l’avenir, avait pu entrevoir les conséquences de la commotion qui se préparait en France dans cette paix apparente où l’on vivait encore, il se serait arrêté sans doute, il eût reculé devant cette terrible partie. Il se serait dit que le sort d’un pays n’était point un enjeu fait pour être livré légèrement au coup de dé des convulsions et des dictatures, que des institutions libérales, tant qu’elles sont fidèlement et sincèrement maintenues, ont en elles assez d’élasticité et de vitalité intime pour se redresser et s’étendre par leur propre vertu. Il se serait dit… Mais alors il ne voyait que ce qui était dans sa pensée, il marchait dans une confiance pleine d’illusions, il se laissait aller à ce souffle de faveur publique qui le portait, et lorsque peu après la république naissait dans un jour d’hiver, le 24 février 1848, nul mieux que lui n’était fait pour la représenter au premier rang, puisqu’il l’avait préparée bien plus que d’autres, puisqu’il l’avait rendue possible, puisqu’il lui offrait un nom aimé, considéré, retentissant, populaire, gage de conciliation et de sécurité. Ce jour-là, par un jeu étrange de la fortune, il voyait se réaliser mot pour mot ce qu’il disait dix-huit ans auparavant dans son discours de réception à l’Académie : « … On cherche un homme ! Son mérite le désigne : point d’excuse, point de refus, le péril n’en accepte pas ; on lui impose au hasard les fardeaux les plus disproportionnés à ses forces, les plus répugnans à ses goûts… L’esprit de cet homme s’élargit, ses talens s’élèvent, ses facultés se multiplient ; chaque fardeau lui crée une force, chaque emploi un mérite… » Sainte-Beuve l’a dit, Lamartine, l’académicien de 1830, prophétisait le Lamartine du gouvernement provisoire, avec cette nuance pourtant que certainement Lamartine avait fait ce qu’il avait pu pour que sa prophétie ne restât pas un vain mot.


CH. DE MAZADE.