Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 89.djvu/613

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de leurs attaques, elles ne s’établissaient nulle part, mais on les voyait partout, partout elles répandaient l’épouvante. Elles fixaient l’époque où elles reviendraient pour emporter ce qu’elles avaient demandé, et on les savait si exactes qu’on les attendait avec terreur.

Beaucoup même ne les attendaient pas, et à l’approche de l’ennemi cherchaient un refuge dans les bois, dans les défilés, sur les hauts sommets des Vosges. Une véritable panique s’emparait de villages entiers. La rapidité foudroyante de l’invasion, les succès si soudains et si complets de l’armée prussienne, la déroute de deux corps d’armée français dont les fuyards répandaient l’anxiété, le système de réquisitions imposé par les vainqueurs dès le premier jour, la renommée qui grossissait encore leurs exigences, affolaient les populations. Les bruits les plus alarmans se propageaient de proche en proche, pénétraient jusqu’en Lorraine, et faisaient déserter une partie des communes où l’on supposait que les Prussiens pouvaient passer. On disait que les femmes, que les jeunes filles étaient exposées de leur part à de véritables cruautés, à des mutilations barbares, sans parler des derniers outrages. A Nancy même, ces rumeurs arrivaient en même temps que la nouvelle du désastre de Mac-Mahon et y causaient une panique générale. Les routes se couvraient de fugitifs ; les mères envoyaient leurs enfans vers le centre de la France, ou les emmenaient elles-mêmes, quand un autre devoir ne les retenait pas sur place. Une foule anxieuse assiégeait les gares où s’amoncelaient des montagnes de bagages. Les employés de la compagnie de l’Est, qui venaient de travailler jour et nuit au transport de nos troupes, méritent qu’on signale au pays l’activité et le dévoûment avec lesquels fis affrontaient de nouvelles fatigues pour organiser le départ d’un si grand nombre de personnes. Jusqu’au bout, ils sont restés sur la brèche sans se reposer ni se plaindre. En Alsace, le soir même de la bataille de Reischoffen, des fuyards annonçaient aux paysans terrifiés que les Prussiens emmenaient avec eux tous les hommes valides et les forçaient à marcher au premier rang de leur armée contre les troupes françaises. Tel était l’effroi des habitans des campagnes, que le 7 août au point du jour, beaucoup de jeunes gens abandonnaient les villages, un petit paquet à la main, pour se réfugier sur les hauteurs ; une partie de la population d’Obernai s’enfuit ainsi à la seule nouvelle de l’approche des Prussiens. Le soir, les fugitifs, n’ayant aperçu du haut de la montagne aucun mouvement de troupes, revenaient un peu honteux de leur précipitation. Armés et organisés, ces mêmes hommes eussent été d’admirables soldats. Ils le sont aujourd’hui derrière les remparts de Schlestadt, de Béfort