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faire chemin, et réduiraient ce siège à une lenteur qui, ayant bientôt épuisé leurs armées d’hommes et de munitions, les contraindrait à lever honteusement le siège…

« En voilà assez pour faire concevoir l’idée qu’on doit avoir de la grandeur et conséquence de Paris par rapport à la guerre ; c’est à ceux qui aimeront véritablement le roi et l’état, et qui se trouveront en situation convenable pour le pouvoir proposer, d’examiner à fond cette proposition[1]. »


Ainsi Vauban voulait la construction de deux enceintes continues mettant la capitale à l’abri du bombardement et donnant à Paris le temps de sauver la France. Malheureusement la nouveauté de ce projet lui fit craindre de le proposer. Combien il dut regretter sa réserve quand, dix-sept ans plus tard, la désastreuse campagne de 1706 fit croire un instant que Paris allait se trouver sans défense ! Ces alarmes ne déterminèrent pas Louis XIVvieilli à fortifier la capitale.

« Pendant tout le XVIIIe siècle, la guerre de la succession d’Autriche, la guerre de sept ans, guerres mal conçues, mal conduites, mais où nous étions coalisés avec presque toute l’Europe, tantôt contre Marie-Thérèse, tantôt contre Frédéric le Grand, ne pouvaient guère nous inspirer d’inquiétude pour la capitale. La guerre d’Amérique, plus heureuse que les précédentes et d’ailleurs toute maritime, était moins propre encore à fixer nos regards sur l’intérieur du royaume ; mais dès que la révolution de 89, nous plaçant en contradiction avec l’Europe entière, fit naître à la fois une guerre de principe et de conquête, on songea à fortifier Paris ; on y songea comme toujours, mal et trop tard. On éleva quelques retranchemens en terre ; mais l’insuffisance de ces ouvrages pour rassurer la capitale faillit amener de grands malheurs.

« L’armée française avait pris une forte position sur la frontière du nord. Elle fut tournée par les Prussiens. Le général Dumouriez, qui la commandait, ne s’en alarma point et voulut tenir dans cette position, certain que les Prussiens n’oseraient pas marcher sur Paris sans avoir battu l’armée française. Il suffisait donc de ne pas s’émouvoir et de tenir ferme où l’on était ; mais Paris était découvert, Paris était dans les alarmes, et l’on donna au général français l’ordre de quitter sa position. Il n’en fit rien heureusement, car il eût perdu son armée et n’aurait point sauvé la capitale. Si Paris eût été fortifié, cet ordre, qui pouvait être fatal, n’aurait jamais été donné.

  1. Oisivetés de Vauban, t.1, p. 44. Ce mémoire a dû être écrit vers 1689. Cette date résulte des recherches auxquelles s’est livré M. Thiers et dont il a rendu compte à la chambre lorsque les adversaires de la loi soutenaient que Vauban était en enfance quand il avait projeté de fortifier Paris. Moniteur du 27 janvier 1841.