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Six ans après la discussion, l’œuvre était achevée, et, loin d’avoir dépassé les chiffres annoncés aux chambres, le génie militaire, poursuivant avec une scrupuleuse économie ce beau travail, put construire avec les 140 millions votés le fort d’Aubervilliers et l’annexe de Vincennes, qui n’avaient pas été prévus dans les projets primitifs. Cette exactitude, sans exemple dans les travaux civils, confondit l’opposition : elle ne fait pas seulement l’éloge des hommes, elle est à l’honneur du temps qui a vu élever sans hâte comme sans retard, au milieu de la paix la plus profonde, ces murailles qui après leur achèvement ne devaient plus rencontrer de détracteurs.

En 1841, la chambre des députés s’attacha surtout à la question financière et à la question politique. Après six jours de luttes oratoires, M. Thiers résuma la discussion générale dans un de ces vastes discours qui embrassent l’ensemble des questions, sans négliger aucun des détails techniques. Au terme de ce débat, il était évident pour les plus aveugles que la nécessité de fortifier Paris s’imposait à une politique prévoyante. Les partis extrêmes pouvaient le nier, mais les esprits politiques étaient tous d’accord. Le système à suivre était le seul terrain sur lequel la lutte demeurât possible. C’est là que s’engageait le débat dans la discussion des articles. D’un côté, le général Schneider, reprenant la pensée intime du maréchal Soult, se contentait des forts détachés en maintenant comme seule enceinte continue le mur d’octroi ; de l’autre, M. Arago et l’extrême gauche défendaient l’enceinte continue en repoussant les forts, qui avaient à leurs yeux le caractère d’un instrument d’oppression intérieure. Au milieu des luttes de ces divers systèmes, on entendit successivement les hommes de guerre les plus éminens fortifier de leur adhésion le projet qui s’exécutait depuis le mois de septembre. Le maréchal Sébastiani et le général Bugeaud apportèrent à la chambre le poids de leur expérience, pendant que M. de Chabaud-la-Tour, passant des chantiers de construction à la tribune, venait expliquer l’économie du projet. Il fallut cet accord pour faire échouer l’amendement du général Schneider. « Pour l’honneur des hommes d’état parlementaires, tous sentirent que cette mesure ne devait pas être une victoire de parti, qu’elle devait sortir de l’alliance des chefs et du vote presque unanime des soldats[1]. » Le 30 janvier, le projet fut adopté dans les termes proposés par la commission à une majorité de 75 voix. Ainsi la chambre consacrait 140 millions à l’exécution simultanée des forts et de l’enceinte bastionnée.

Tout n’était pas terminé par l’adhésion des représentans des provinces. Il restait à obtenir l’assentiment de la chambre des pairs. Cette dernière épreuve était loin d’être banale. On a vu d’autres

  1. M. Guizot.