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Strasbourg l’Alsace, avec Metz la Lorraine, et de n’y laisser, en se retirant, qu’un fantôme de gouvernement dont ils disposeront à leur gré. Le mal indique le remède. Mettez Paris en état de défense, mettez Paris dans un état de défense sérieux, formidable ; que Paris ne puisse être réduit qu’à la suite d’un siège en règle ; que l’entreprise d’assiéger Paris soit une entreprise énorme, gigantesque, et à l’instant la scène change. »

Ainsi le regard de l’homme d’état perçait l’avenir avec une merveilleuse lucidité, il ne croyait pas que le drapeau de l’indépendance nationale pût demeurer debout, s’il était condamné à errer de ville en ville, chassé par l’invasion ; il voulait que le cœur du royaume fût recouvert d’une cuirasse pour que le sang continuât de circuler dans toutes ses parties. Dans le même sens, d’autres orateurs faisaient appel aux enseignemens du passé et montraient par les exemples les plus mémorables de quel invincible abattement est envahie une nation qui voit le siège de son gouvernement au pouvoir de l’étranger. La défense des capitales était donc imposée à la fois par la politique et l’histoire.

Mais ce qui dominait dans l’esprit des députés, c’était le sentiment national surexcité par la défiance de l’Europe. On raconte qu’un jour un officier du génie qui avait contribué à la construction des défenses de Paris, et qui devait s’illustrer sur les champs de bataille de la Lombardie, recevant M. Thiers et lord Palmerston à la porte de la citadelle du Mont-Valérien, les accueillit en leur disant qu’il était heureux de montrer la forteresse aux deux hommes qui avaient le plus contribué aux fortifications de Paris. En rapprochant ces deux noms avec quelque malice, le commandant Niel exprimait l’opinion générale, car sans les inquiétudes de 1840 la France se fût difficilement prêtée à la construction des fortifications.

Grâce à ces complications passagères, nous possédons aujourd’hui une double ligne de défense dont les discussions parlementaires ont démontré la force. À la chambre des pairs, la discussion stratégique fut très sérieuse. Les députés avaient repoussé l’amendement du général Schneider ; la commission nommée par la chambre des pairs le reprit à une voix de majorité, et le baron Mounier, chargé de rédiger le rapport, défendit énergiquement ce système, qui réduisait l’enceinte continue à un simple mur de sûreté. C’eût été le bouleversement du projet ministériel. Heureusement dès les premières séances l’impression de la chambre fut modifiée : aux critiques jalouses de certains militaires, le maréchal Molitor opposa sa vieille expérience, et le général Dode un récit exact des travaux préparatoires.

La discussion montra l’excellence du projet, qui était admirablement préparé pour ramener les opinions les plus diverses. Né d’une