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auxquels le vulgaire donne improprement le nom de bubales. Ce nom appartient en effet au buffle (Bos bubalus), animal originaire de l’Asie et déjà bien connu des Grecs ; mais on le trouve généralement employé au moyen âge pour désigner l’urus de César. L’espèce n’avait pas disparu des forêts des Vosges et des Ardennes pendant les premiers siècles de la monarchie française, car Grégoire de Tours rapporte que, sur l’ordre du roi Gontran, un chambellan, son neveu et un garde-chasse furent mis à mort pour avoir tué un bubale dans une forêt royale située dans les Vosges. De son côté, Venance Fortunat le poète, le protégé de Sigebert, roi d’Austrasie, et plus tard de la reine Radegonde, femme de Clotaire, l’évêque de Poitiers en 599, cite dans ses vers le bubale au nombre des animaux que chassait dans les Ardennes et les Vosges Gogon, le premier maire du palais d’Austrasie dont l’histoire ait gardé le souvenir. La présence simultanée dans les forêts de l’Europe centrale des deux ruminans cités par les auteurs latins est attestée de nouveau par un passage du célèbre poème des Niebelungen. C’est la description d’une chasse magnifique : les Burgondes occupent les bords du Rhin, et leur roi Gunther conduit Siegfried le Fort, le héros du poème, dans la forêt d’Odenwald, peuplée d’ours, d’élans, de sangliers, de cerfs et de bœufs. Siegfried se distingue parmi tous ses compagnons en tuant un grand nombre de bêtes sauvages et entre autres un bison et quatre urus. D’après Eckhart, le savant bénédictin, le grand bœuf ou bubale existait encore dans la forêt hercynienne au temps de Charlemagne, et certainement en quelques parties de l’Helvétie. Sur ce dernier point, la preuve est fournie par l’énumération des mets en usage chez les bons moines de Saint-Gall ; l’urus ou bubale et le bison figurent à la fois dans cette liste.

Ainsi aucun doute n’est possible ; deux espèces bovines sauvages vivaient en Europe jusqu’au XIe siècle ; mais à partir de cette époque il n’est plus question du bœuf aux larges cornes, de l’urus de César, du bubale des gens ignorans. Le silence absolu de tous les auteurs montre que la destruction de l’espèce a été complète. Un des plus beaux animaux du monde était anéanti.

Lorsque les naturalistes commencèrent à rechercher les débris des êtres appartenant aux anciennes périodes géologiques, on ne tarda pas à exhumer des ossemens d’un bœuf énorme qui surprenait par la dimension des noyaux de ses cornes. Des têtes entières et différentes parties du squelette furent trouvées dans des rivières, des marais, des tourbières du nord et de l’est de la France, en Angleterre, en Allemagne et en Italie. Après un sérieux examen, Cuvier n’hésita pas à reconnaître dans ces ossemens les restes de l’urus des anciens ; le fait était rendu certain par la comparaison des textes