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d’après des descriptions et des figures données par d’anciens observateurs, trouve qu’on le prendrait pour une tortue qui se serait affublée de la dépouille d’un oiseau.

Les premiers renseignements sur les productions naturelles de l’ile Maurice nous viennent d’un voyage accompli par les Hollandais en 1598. Cornélius van Neck, le chef de l’expédition, trouvant l’île inhabitée, en prit possession et parcourut le pays avec ses compagnons. Aussi, dans la relation du voyage, on signale les animaux et les végétaux les plus remarquables qui ont été rencontrés sur cette terre. Il est question du dronte qualifié de Walgvogel, oiseau dégoûtant. L’animal, représenté sur une image de façon assez grossière, est décrit en termes naïfs dont on aura l’idée par ce passage emprunté à la traduction française : « c’est ung oiseau, dit le narrateur, par nous nommé oiseau de nausée, à l’instar d’une cigne, ont le cul rond, couvert de deux ou trois plumettes crépues, carent des ailes, mais au lieu d’icelles ont ilz trois ou quatre plumettes noires ; des susdicts oiseaux, nous avons prins une certaine quantité… avons cuict cest oiseau ; estoit si coriace que ne le povions asses bovillir, mais l’avons mengé à demy cru. »

En 1601, deux escadres hollandaises, l’une commandée par Harmansz, l’autre par van Heemskerk, partaient ensemble des Indes orientales pour revenir en Europe. Les navires bientôt séparés, ceux de Heemskerk firent relâche à l’île Maurice, et cette fois les équipages se trouvèrent à merveille d’avoir des dodos pour leurs repas. Mieux sans doute que les compagnons de van Neck, ils avaient su les préparer, et peut-être les individus tués étaient-ils plus gras ou moins vieux. On en mangea beaucoup, et l’on en fit des salaisons pour le reste de la traversée. Les autres oiseaux abondaient dans l’île, mais ceux-ci n’étaient pas aussi faciles à atteindre que les gros drontes, privés de tout moyen de fuir et n’ayant d’autre arme défensive que leur énorme bec. Dans les années suivantes, les navigateurs hollandais abordent fréquemment à Maurice, et toujours les drontes, assommés à coups de bâton par les matelots, fournissent une bonne part de l’alimentation des équipages ; on travaillait activement à la destruction du pauvre oiseau, incapable d’échapper aux poursuites. L’Anglais sir Thomas Herbert, visitant l’île en 1627, y rencontra encore le dodo, et François Cauche, un marin français, auteur de la relation d’un voyage à Madagascar, touchant à Maurice en 1638, y vit également le dronte, ou, comme il l’appelle, l’oiseau de Nazare, qui fait son nid à terre avec un amas d’herbes. Vers la même époque, on montrait à Londres un dronte vivant ; par bonheur, des artistes profitèrent de l’occasion pour exécuter d’après nature des portraits du singulier oiseau ; le peintre hollandais Roelandt Savery particulièrement le représenta sous différens aspects.