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tarda pas à être remplie par d’autres personnages, ceux qui par leur industrie rappelaient le plus fidèlement les anciens ennemis.

Il y a soixante-dix ans, sur le seuil de notre siècle, de cette ère nouvelle où l’argent devait jouer un si grand rôle, les banquiers, les hommes d’affaires (le mot est du temps), les entrepreneurs et fournisseurs de toute sorte se trouvèrent tout-puissans. Ils détenaient dans leurs mains tout le numéraire que possédait la France, et ne laissaient parvenir dans celles de l’état que le papier-monnaie, les bons d’arrérages, de délégation, que sais-je encore ? tous les chiffons imprimés qui avaient succédé aux assignats. Ces hommes prêtaient, empruntaient, achetaient, vendaient et surtout s’enrichissaient très vite au grand détriment du pays et de la morale publique. Contre eux, il n’y avait ni tribunaux ni décrets. « Le poète comique, » dit l’écrivain qui le premier risqua sur la scène quelques traits vengeurs, « le poète comique poursuit les coupables que la loi ne peut atteindre. » En effet, le théâtre dans cette circonstance ne faillit pas entièrement à sa mission. Les premiers financiers qui apparurent sur notre scène rouverte et restaurée, chose singulière ! furent la création d’un talent doux et ami du repos, de Collin d’Harleville. On a exagéré la mansuétude, l’indifférence même de l’auteur de l’Optimiste : on l’a confondu avec le héros de sa pièce, oubliant qu’il disait avoir pris pour modèle de ce caractère son père, un digne homme qui ne fit pas de comédies et qui aurait, s’il l’avait pu, empêché son fils d’en jamais faire. Pour que Collin d’Harleville fût en toute chose l’opposé de Fabre d’Églantine, son rival et son ennemi, on l’a représenté comme aimant tous les hommes également, honnêtes et méchans, ne voyant que les bons côtés de la société contemporaine, excusant tous les mauvais, n’ayant d’autre but que de conserver sa quiétude personnelle : on l’a travesti en Philinte. Sans doute Collin ne fut pas un Alceste ; il ne fut pas même un héros. Il n’a pas fustigé les financiers avec des verges bien cruelles, et il ne risqua ce châtiment que le 7 thermidor an VIII, huit mois après le 18 brumaire. Le sabre de Bonaparte avait mis les agioteurs en désarroi et forcé les commis des contributions à travailler ; l’ordre paraissait rentrer dans les finances. La galerie était donc pour le poète. L’autorité ne devait pas voir avec moins de faveur une pièce qui commençait par la critique des mœurs du temps, et qui finissait par l’éloge des officiers dans la personne d’un mari resté fidèle et tendre durant deux ans de captivité. Combien devaient être applaudis, non pour leur mérite poétique, il est vrai, les deux vers suivans :

O digne, excellent homme ! et que dans nos foyers
Puissent nous revenir ainsi tous nos guerriers !