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Martigny, le banquier, a des loges à tous les théâtres ; il donne des dîners diplomatiques, il s’entoure de députés, de pairs de France, d’étrangers de la plus haute distinction, il a des concerts, des soirées littéraires : point d’élégies romantiques, de tragédies classiques, d’épopées grandioses, de chansons libérales, dont ses invités n’aient la primeur. Avec la rue Saint-Denis, il est bon prince ; avec le faubourg Saint-Germain, il est tantôt aimable, tantôt ombrageux, toujours par orgueil. Il se rend aux invitations de la noblesse, et il est bien aise d’en attirer chez lui quelques représentans, mais la question du rang le trouve constamment sur le qui-vive. Au moindre froissement, il redevient démocrate et se promet de redoubler de faste, de magnificence, pour écraser les gentilshommes. Si nous l’en croyons, ce n’est pas lui qui voudra s’allier à une noble famille, ou reconstruire à grands frais quelque vieux manoir, quelque castel tombant en ruines. Et cependant il finit par donner sa sœur à un colonel du noble faubourg à qui il a prêté une certaine somme, et par épouser lui-même une comtesse, qui reçoit la permission de devenir Mme Martigny, grâce aux écus dont l’éclat relèvera l’obscurité de ce nom bourgeois. Ce sont là des ridicules, mais qui ne diminuent pas son importance. On voit assez le chemin que les hommes d’argent ont fait dans l’espace d’une vingtaine d’années. Ce n’est pas tout : le nœud de la comédie des Trois Quartiers accuse nettement le rôle des écus dans toutes les classes de la société. Le marchand de nouveautés refuse sa fille à un de ses commis qu’elle aime parce qu’il est sans fortune ; le banquier est orgueilleux de sa richesse et libéral par jalousie ; les marquises et comtesses sont aristocrates, mais les millions les font passer pardessus les préjugés.

Les Turcarets véritables ne sont pas fréquens, mais le spectacle de leur richesse fait en tout temps des imitateurs en petit, et la religion du veau d’or remplace peu à peu par des convoitises plus ou moins dissimulées le désir légitime de parvenir à l’aisance. Tout le monde n’avait pas assez de fortune ou d’audace pour mener de front la bourse et l’usure comme le Morand de Collin d’Harleville ou pour préparer une éclatante faillite comme le Durville de Picard. Tout le monde ne pouvait, à l’exemple du Martigny de M. Mazères, tenir en échec la noblesse à force d’écus. La conscience des uns était encore trop sensible, l’escarcelle des autres trop légère pour marcher sur des traces si hardies. L’agiotage sur les fonds publics et la multiplicité des actions industrielles vinrent malheureusement au secours de ces escarcelles modestes et de ces consciences timorées. Il semblait que le secret était trouvé pour enrichir tout le monde en peu de temps et avec peu d’argent. Les dernières années de la