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tenu pour très équivoques des mœurs dont on osait à peine tracer de sérieuses esquisses, ou que l’on allait chercher dans un monde inférieur qui n’a rien à perdre aux vengeances du théâtre.

Le rang oblige aussi bien que la noblesse. Il semble que l’argent, renonçant au bénéfice de l’égalité première, se soit moins respecté et que, perdant sa part, quelque modérée qu’elle fût, de pouvoir politique, il ait conservé un moindre sentiment de sa responsabilité. En gardant pour lui toute la puissance, le gouvernement avait montré aux sujets le commerce et la banque et leur avait dit : « Voilà votre domaine ! » Les sujets ne l’écoutèrent que trop. Cependant il ne se tint pas pour content, et, de ce domaine qu’il laissait seul à l’activité nationale, il voulut avoir sa portion. Il n’y avait pas de délégué de la dictature qui ne pût, s’il était sans conscience, vendre chèrement sa signature : La Bourse appartint aux gouvernés moyennant prime. Tel fut, il faut bien le reconnaître aujourd’hui, l’état réel des choses. Était-il possible d’en trouver au théâtre une peinture, même adoucie ?

MM. Emile Augier et Damas fils ont essayé de nous la donner, l’un dans les Effrontés, qui nous ont fourni tout à l’heure l’occasion de nous expliquer sur l’aristocratie financière, l’autre dans la Question d’argent. M. Emile Augier a représenté trois degrés d’effronterie Vernouillet, Giboyer et Charrier. Écartons Giboyer, le journaliste bohème, l’insulteur salarié, qui n’appartient pas à notre sujet, et qui d’ailleurs, par son ignorance ingénue de toute morale, par quelques sentimens généreux, inspire çà et là un intérêt mêlé de pitié. Dans Charrier et Vernouillet nous retrouvons Morand et Basset, Durville et Duhautcours, les deux degrés ordinaires de corruption, les deux complices habituels, dont l’un, agent honteux, entraîne l’autre. Il y a pourtant une différence entre la conception de M. Augier et celle de ses devanciers. Charrier n’en est pas à son coup d’essai ; son dossier porte déjà un ancien démêlé avec la justice. Un vieux journal qui joue un rôle important dans la pièce contient la preuve de cette plaie à son honneur, une plaie qui ne guérit jamais, et qui se rouvre à la moindre crise. Triste souvenir de famille ! car le banquier Charrier est père, et il est condamné finalement à rougir devant son fils. « Les financiers n’ont pas de famille, » dit Labruyère, qui ne leur avait découvert un cœur et des entrailles que pour leur coffre-fort. Ces hommes n’allaient pas s’embarrasser de ces liens du sang, ou ils s’en affranchissaient comme Turcaret. Le financier de M. Augier, sans être plus délicat, est plus tendre, et les écus ont laissé pour ses enfans une place dans son amour. Contrairement à tous les hommes d’argent que nous avions vus jusque-là sur la scène, il a des momens pour les jouissances du foyer et un goût