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voulu l’accabler que le personnage finit par une véritable bouffonnerie. Comme on lui fait remarquer qu’il prend le chapeau d’un autre, « je l’aurais rapporté, mademoiselle ! » répond-il.

Voilà donc les deux principaux financiers mis au théâtre sous le dernier régime : Charrier, le bourgeois, l’honnête père de famille qui s’est exposé., sinon à une condamnation, du moins à des considérans qui le déshonorent, — Jean Giraud, l’esprit grossier qui a su s’élever de la fange du cuisseau jusqu’au faîte de l’opulence, et qui, dans cette brusque ascension, n’a pas eu le loisir de se pourvoir de beaucoup de délicatesse et de moralité. Des Charrier, nous en avons eu sans doute ; s’ils ont assisté aux épreuves du héros de M. Augier, ils ont dû affecter de ne pas se reconnaître : l’auteur nous semble avoir fourni à leur conscience ce faux-fuyant, en déplaçant l’époque et la mise en scène par certains mots politiques tels que ceux du marquis d’Auberive. Les Jean Giraud n’ont pas manqué ; peut-être se sont-ils reconnus, mais ces subalternes sont-ils les plus dangereux, et les éclats de rire du théâtre suffisent-ils pour les punir ?

Les sujets me manquaient pas à la comédie contemporaine : elle n’a pas osé, qui sait si elle a pu les traiter complètement ? Après plus de cent cinquante ans, Turcaret demeure le modèle des hommes d’argent, et Lesage a peut-être laissé derrière lui ses successeurs non-seulement par le talent, mais par le courage. En commençant cette étude sur les financiers, nous disions que l’histoire des temps et les annales du théâtre se prêtaient mutuellement des lumières. L’histoire des temps montre avec une inflexible sincérité les originaux que la scène devait reproduire. Ne comptons pas trop cependant ni sur l’exactitude de l’ouvrage, ni sur la fermeté de l’ouvrier ; les annales du théâtre prouvent que, s’il y a souvent des traits de ressemblance entre ces originaux et leurs copies, il ne faut pas toujours compter sur la fidélité de la peinture.


Louis ETIENNE.