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Cloud. Ce serait certainement la puérilité la plus singulière de nous bercer encore de toutes ces idées que les soldats allemands, épuisés de misère, envahis par la nostalgie ou découragés par les obstacles, n’aspirent qu’à reprendre le chemin de leur pays sans aller jusqu’au bout de l’œuvre qu’ils ont entreprise. Les Prussiens ne sont pas venus de si loin pour se retirer ainsi tranquillement à la première difficulté. Ils sont en quelque sorte enchaînés sous nos murs par l’orgueil de leurs récentes victoires, par l’âpre ambition des conquêtes, et maintenant aussi un peu par le point d’honneur, qui leur coupe la retraite. Ils iront jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’où ils pourront. Les forces qu’ils ont concentrées, les combinaisons qu’ils préparent et qu’ils ne peuvent entièrement dissimuler, les positions qu’ils choisissent et où ils se retranchent, tout indique une opiniâtreté de dessein et de volonté avec laquelle nous pouvons avoir affaire d’un instant à l’autre ; mais enfin, sans illusion, sans excès d’optimisme, on peut bien dire que, si les Prussiens n’ont tenté rien de sérieux depuis qu’ils sont arrivés devant Paris, c’est que probablement ils ne l’ont pas pu, c’est qu’ils ont été arrêtés par un obstacle dont ils n’avaient pas mesuré la puissance, et ce seul fait est une amélioration relative de notre situation, un accroissement sensible de nos chances dans la marche de cette étrange campagne. Un mois perdu par la Prusse dans l’immobilité et l’inaction, ou si l’on veut dans des concentrations nécessitées par la distance, par les conditions nouvelles de la guerre, c’est un mois gagné pour nous, pour nos forces qui se rassemblent, pour tous nos moyens de combat qui se régularisent et se décuplent ; c’est un mois gagné pour le patriotisme de la France et pour son honneur devant le monde. Voilà au juste la signification de cette période déjà écoulée d’un siège extraordinaire, premier écueil d’une invasion qui jusqu’ici n’avait point trouvé d’obstacles. Ce sont les Prussiens cette fois qui se sont fait illusion, qui ont cru qu’ils n’avaient qu’à marcher sur Paris, à peu près comme nos chefs militaires, au commencement de la campagne, pensaient présomptueusement qu’ils n’avaient qu’à s’élancer vers le Rhin. Les Allemands sont partis pour Paris, et ils sont arrivés à Versailles ; ils se sont aperçus bientôt que, sur ce bout de chemin qui leur restait à faire, ils avaient devant eux la résolution désespérée d’un peuple.

Ce n’est là jusqu’ici qu’un succès bien modeste encore sans doute, qui n’a rien d’une victoire décisive ; il n’y a point de victoire véritable tant que l’invasion se promène dans nos villes et dans nos campagnes, tant que nous n’avons qu’à sonder l’horizon du haut de nos remparts pour voir l’ennemi campé sur nos coteaux. Ce n’est pas moins, au point de vue de la défense nationale, un avantage réel, puisque ce mois conquis par la fermeté d’attitude de toute une population a pu rétablir à notre profit une certaine égalité en forçant momentanément la Prusse à