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souvenirs : on s’en rappelait le sens général, on en citait certaines phrases, certains traits. Peut-être au temps de Lysias eût-on pu recueillir, de la bouche des survivans de la génération précédente, bien des débris de cette grande éloquence ; mais ce ne fut guère qu’un siècle plus tard, après Aristote, que l’érudition commença de l’amasser ainsi les miettes du passé. Il ne nous est donc parvenu que bien peu de paroles authentiques de Périclès. Ce qui nous aide à aller plus loin dans nos conjectures que ne nous le permettraient ces rares et courts fragmens, c’est Plutarque, qui a consulté bien des auteurs aujourd’hui perdus, c’est surtout Thucydide, un contemporain, qui a mis dans la bouche de Périclès trois des plus importans discours que contienne son histoire.

Le premier de ces discours prouve la nécessité de la guerre contre les Péloponésiens et la probabilité d’une issue heureuse[1] ; le second, prononcé après les premiers succès de cette guerre, sous forme de discours funèbre, a pour but d’encourager les citoyens, par un magnifique éloge de la constitution athénienne et du génie athénien, à persévérer dans toute leur manière d’être et d’agir. Enfin la troisième de ces harangues, après les souffrances que la peste, plus encore que la guerre, avait infligées aux Athéniens, leur offre la consolation la plus digne d’une âme virile en leur prouvant que jusque-là le destin, dont on ne saurait percer le mystère, les a seul trompés, que leurs calculs et leurs prévisions ont été justes, et que l’avenir en prouvera la sagesse, pourvu qu’ils ne se laissent point troubler par des accidens imprévus. Le discours où Périclès donnait un aperçu des forces militaires et des ressources d’Athènes est rapporté par Thucydide en langage indirect et par extraits ; c’est sans doute parce qu’il ne se prêtait pas autant que les autres à lui fournir l’occasion d’exprimer ces idées générales où se complaît son génie d’observateur et de théoricien politique.

Nous sommes loin sans doute de prétendre que ces trois discours, quoique attribués par Thucydide à Périclès, soient la transcription même des paroles prononcées par celui-ci dans chacune de ces circonstances. Il y a longtemps que la discussion est épuisée à ce sujet. Toutes les harangues contenues dans cette histoire. ont entre elles des rapports si frappans, du moins pour ce qui est du style et du tour, qu’il est impossible de ne pas y voir l’œuvre de la même main. Thucydide nous avait d’ailleurs avertis qu’il lui « aurait été difficile de retenir et de reproduire exactement les propres paroles des orateurs, soit qu’il eût assisté lui-même au débat, soit que d’autres le lui rapportassent. » Il faut noter cet aveu, mais tenir

  1. Thucydide, I, 140-144.