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des argumens qu’on répond ; il s’agit de lever des hommes, de les armer, de les exercer, d’en former des armées, de fondre des canons, de faire appel à toutes les ressources, à toutes les énergies, et d’engager une de ces luttes à fond où le droit, quoi qu’on ait pu dire, finit toujours par avoir raison de la force brutale.

Chacun a si bien senti que c’était de l’existence de la nation elle-même qu’il s’agissait, que tous les partis ont fait trêve à leurs prétentions particulières et se sont offerts à la défense commune. N’est-ce pas un spectacle qui a sa grandeur que de voir M. Estancelin, l’ami des princes d’Orléans, prêter main-forte à M. Gambetta, et M. de Charette mettre ses zouaves pontificaux au service d’une cause à laquelle Garibaldi est venu apporter le concours de sa vieille popularité, sans réussir à trouver, parmi 25 millions d’hommes qui doivent au sang de la France leur existence comme nation, un seul compagnon qui voulût venir avec lui attester à cette France si éprouvée par la fortune la reconnaissance de l’Italie ? Devant la grandeur du péril, la paix s’est faite entre des adversaires séculaires. Chacun a oublié qu’il est républicain, orléaniste ou légitimiste, pour se souvenir seulement qu’il est Français, — et, qu’on veuille bien le remarquer, cet accord si nécessaire au salut ne pouvait s’opérer que sous les auspices de la république, c’est-à-dire d’un gouvernement anonyme, de celui « qui nous divise le moins, » précisément parce que, n’étant ni le gouvernement d’un homme ni celui d’une famille, il est celui de tout le monde, n’exclut personne, et permet à chacun, sans abdiquer ses vues particulières, de travailler au salut commun.

Nous ne nous aventurerons pas à prédire l’issue d’une lutte dont nous connaissons si imparfaitement les élémens. Les Prussiens ont pour eux l’avantage d’une longue préparation, d’une organisation savamment étudiée dans ses moindres détails. La France a pour elle l’inspiration suprême du péril, l’immensité de ses ressources et cette promptitude à improviser des armées qui, en six semaines, ont déjà réussi à former à Paris une garnison de 400,000 hommes, dont la moitié pourra bientôt prendre l’offensive, et en province 300,000 combattans qui se préparent à venir à notre secours.

Il ne faut pas toutefois se faire illusion. La guerre sera longue, difficile et sanglante ; il faut donc dès aujourd’hui se mettre sur le pied d’une offensive formidable. En admettant, comme nous l’espérons bien, que Paris, aidé par les départemens, réussisse à se débloquer et à rétablir ses communications avec le reste de la France, rien ne sera terminé. Forcés à lever le siège, les Prussiens auront subi sans doute une défaite morale, un échec d’orgueil ; mais voilà tout. Ils avaient la prétention non pas de garder Paris,