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mais d’y dicter les conditions de la paix. Le siège de Paris levé, il leur restera la ressource de se replier sur l’Alsace et la Lorraine, de s’y fortifier et de nous attendre. Or ce n’est pas avec les 300,000 hommes de la province, même portés à 500,000 par le contingent parisien, que nous en viendrons à bout. Il nous faudra lever 1,200,000, 1,500,000 hommes, et cette levée en masse, c’est aujourd’hui qu’il faut la faire, si l’on veut qu’elle soit prête dans trois mois. Tout retard sous ce rapport est du temps perdu, et chaque jour ajouté à la durée de l’invasion est une ruine incalculable. Le sentiment public ne s’y est pas trompé. Quand il demande qu’on monte sur batterie 1,200 ou 1,500 canons de campagne, il est dans le vrai. Les hommes spéciaux, toujours exposés à se perdre dans le détail, ont beau nous dire : Mais nous n’avons pas de chevaux pour traîner 1,200 canons, nous n’avons pas d’artilleurs pour les servir ; le public, par l’organe des journaux, réplique avec raison : Si vous n’avez pas d’artilleurs, formez-en ; si vous n’avez pas de chevaux, mettez en réquisition ceux des voitures publiques et particulières. Ne pensez pas seulement à la difficulté d’aujourd’hui, à celle de demain ; transportez-vous à trois mois, à six mois d’ici. Alors 1,200, 1,500 canons ne seront pas de trop pour refouler les hordes prussiennes. Si, possédant aujourd’hui les matériaux et l’outillage nécessaires pour produire les canons dont nous aurons alors besoin, nous perdons notre temps, nous faisons, par indécision et par faiblesse, les affaires de l’ennemi.

Quant à la question d’argent, que nous avons également entendu alléguer, elle ne supporte pas l’examen : 10 millions de plus ou de moins ne sont pas à considérer dans une guerre qui coûtera des milliards ; 10 millions, c’est à peine un déjeuner des Prussiens. Les États-Unis, dans la guerre de la sécession, se sont endettés de 12 milliards ; ils ont fabriqué par centaines de mille les fusils et engins de guerre, les canons, les monitors ; ils n’ont rien épargné pour vaincre, et ils ont vaincu. C’est là l’exemple qu’il nous faut suivre. Que la France ne regarde pas à 3, à 4 milliards ; il vaut mieux les dépenser pour chasser l’ennemi que de les lui verser sous forme de contribution de guerre.

Sous ce rapport, il est à regretter que nous n’ayons pas au ministère des finances un financier. M. Picard est un homme d’esprit, un orateur distingué ; mais enfin il est, comme tout le monde, étranger aux choses qu’il n’a point apprises. Il ne s’était jamais occupé de finances jusqu’à ce jour, et il était difficile de débuter dans des conditions plus épineuses et plus rudes. L’excessive prudence d’un homme qui n’est pas bien sûr de son fait, qui craint de se fourvoyer, peut paralyser l’essor d’un armement qui ne saurait être