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I

Autrefois les murailles d’une ville fortifiée s’élevaient de terre, hautes, crénelées, munies de distance en distance et surtout aux angles de tours épaisses, rondes ou carrées. Les Romains et après eux les peuples du moyen âge avaient rendu aussi parfait que possible ce mode de défense. C’était le temps des archers et des machines de guerre lourdes, compliquées. Sur les assaillans, on jetait des pierres, de l’huile bouillante. Ceux-ci battaient les murs avec leurs énormes catapultes. Depuis l’application perfectionnée de la poudre et la formation de l’artillerie au XVIe siècle, tout a changé : les murailles sont devenues rentrantes et se sont pour ainsi dire cachées en terre, à fleur du fossé, pour échapper le plus possible à l’atteinte du canon. Au lieu de fortifications élégantes, élancées, on a eu de gros murs trapus en ligne droite ou courtines, offrant de distance en distance des parties anguleuses, avancées ou bastions[1].

La ligne continue des fortifications de Paris, séparée par une distance moyenne de 3 kilomètres des forts détachés, se développe sur 36 kilomètres ou 9 lieues de tour. Elle présente sur cette longueur quatre-vingt-quatorze bastions et soixante-deux portes, poternes ou passages, les uns aujourd’hui murés et crénelés, les autres armés de ponts-levis qu’on ferme toutes les nuits. L’enceinte commence à l’est au bord de la Seine, à la porte de Bercy, et, montant en ligne droite, coupe l’avenue de Vincennes, enserre Charonne et Belleville, puis les buttes Chaumont avec La Chapelle et La Villette. Au nord, elle défend Montmartre, les Batignolles et les Ternes, laissant la fameuse butte de Montmartre[2] bien avant en-deçà des murs.. A l’est, l’enceinte couvre Passy et Auteuil, en s’étendant tout le long du bois de Boulogne, et vient traverser la Seine au Point-du-Jour. Au sud enfin, elle enclôt les quartiers de Grenelle,

  1. Le mot bastion vient de l’italien bastione, tour fortifiée, et le mot courtine de cortina, rideau. Le talus maçonné des bastions et des courtines se nomme l’escarpe, et ce mot vient également de l’italien scarpa, talus. Il serait facile de retrouver beaucoup d’autres mots italiens dans le vocabulaire des fortifications : ainsi gabbione, grosse cage, gros panier d’osier, d’où nous avons fait gabion. Les Italiens, au XVIe siècle, ont été les maîtres de l’Europe dans l’art de bâtir des forts et de les assiéger par l’artillerie ; Michel-Ange a précédé Vauban.
  2. Sur cette butte, on a établi un observatoire, un sémaphore et deux batteries de marine, comprenant en tout treize canons, quelques-uns d’un poids de 9,000 kilogr. et d’une portée de 8 kilomètres. Ces deux batteries peuvent aisément balayer toute la plaine de Saint-Denis. La butte Chaumont est également munie d’une batterie de six canons.