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chausse-trapes, des piquets, des chevaux de frise, des trous de loups, des palissades, des embûches de toute sorte qui rappellent les procédés des anciennes guerres. Si nos fossés n’ont pas été comblés d’eau, ni, comme on nous l’avait promis, munis de fascines imbibées de pétrole qu’on aurait enflammées sous le pied des assiégeans, les abords de nos ponts-levis n’en sont pas moins défendus encore par des mines, des torpilles, des amas de matières explosibles cachés sous terre, et que l’étincelle voltaïque permettra d’allumer sûrement et instantanément lorsque le moment sera venu. Si l’ennemi se présente la nuit par surprise, nous avons partout des phares, des lumières électriques pour trahir sa marche, même à 1 kilomètre, et quand il sera près de la brèche, des pompes à pétrole projetante 50 mètres une flamme homicide qui brûle encore à une distance deux fois plus grande et fait sentir ses terribles effets sur plusieurs mètres carrés d’étendue. Voilà ce que Paris a fait, depuis un mois à peine, pour se défendre ; voilà ce que les Parisiens ont accompli, réduits presque à leur seule initiative.

Il y a dans chaque secteur une vie, une animation d’excellent augure. Presque partout, auprès des remparts, les habitans ont disparu ; le militaire, le soldat-citoyen, ont remplacé le paisible bourgeois. Là où demain peut-être le fusil et le canon vont parler, le rentier oisif a déserté ses jardins, sa villa. Par suite des réquisitions qu’autorisent l’état de siège et les coutumes militaires, une partie de ces demeures ont ouvert leurs portes aux défenseurs de la patrie, et plus d’une élégants maison de Passy par exemple abrite aujourd’hui des groupes d’officiers, des postes de la garde nationale, des services divers. Ici est installé le sémaphore, là le télégraphe ; ailleurs sont les bureaux du génie ou ceux de l’artillerie. Le château de la Muette a donné asile à l’état-major du 68 secteur, et sous les ombrages princiers de cette splendide demeure, qui a vu tour à tour passer le régent, Louis XV et Marie-Antoinette, campent aujourd’hui les soldats de la république. Le génie civil est venu à son tour, au nom de la commission des barricades, s’installer dans le parc de la Muette, y bouleverser les terres, y couper une vieille allée de tilleuls qui gênait la défense. L’enceinte de cette vaste propriété est aujourd’hui fortifiée, bordée de talus et de fossés. Comme leurs pères, aux fermes d’Hougoumont et de la Haie-Sainte, à Waterloo, nos soldats comptent faire sur ce point une résistance désespérée à l’ennemi, et lui en disputer pied à pied la position, si tant est qu’il arrive jusque-là. Non loin du château, sous des arbres qui appartinrent un jour au Ranelagh, sont campés pittoresquement les mobiles ; ceux de Bretagne, calmes, silencieux, portent à leur képi l’hermine nationale ; ceux de l’Hérault, plus bruyans,