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une attaque, les matelots ont transformé ce toit en une véritable forteresse ; ils s’y sont retranchés derrière des sacs à terre, du côté de l’enceinte, et ont placé leurs carabines près d’eux. La bonne dame ne s’est point émue. — « Comment, madame, vous ne craignez rien, vous ne partez pas, vous ne mettez pas même à l’abri tant de choses précieuses, quand tout le monde a déménagé autour de vous ? » lui demandait un brave marin étonné de tant de courage. — « Monsieur, répondit-elle, je suis bien dans ma maison, et j’y reste ! »


III

Ainsi Paris qui ne devait pas résister, qui devait ouvrir ses portes, comme on disait il y a deux mois, après le désastre de Sedan, Paris a démenti toutes les prophéties des alarmistes, et s’est mis si bien en défense qu’il s’est rendu presque inabordable. L’esprit des habitans s’est élevé à la hauteur de la situation, et tout a été suspendu dans la vie quotidienne, sauf la pensée de la défense et la résolution de refouler l’envahisseur. Depuis six semaines, l’ennemi a investi la capitale ; il a, en essuyant tour à tour le feu de tous ses forts, pu s’assurer de toutes les conditions de la résistance. Hier encore 27 octobre, les remparts de Paris, tonnant pour la quatrième fois, et avec eux le fort du Mont-Valérien, canonnaient à toute volée les ouvrages de Sèvres et de Saint-Cloud. Les canonnières et batteries flottantes de la Seine, au Point-du-Jour, ont maintes fois jeté dans le bois de Meudon des boulets, de la mitraille, des obus, et démoli des positions qu’on fortifiait. Issy a joint ses feux à celui des canonnières. A Vanves, Montrouge, Bicêtre, Ivry, Charenton, nos forts ont protégé nos soldats et bombardé l’ennemi aux combats de Châtillon, de Villejuif, de Chevilly, de Bagneux. A leur tour, les forts de Nogent, Rosny, Noisy, Romainville, Aubervilliers, ont tiré dans plusieurs rencontres ou envoyé des boulets isolés contre les bois voisins. Les forts de Saint-Denis, la Double-Couronne, le fort de l’Est, se sont mêlés à ces concerts, le fort de la Briche lui-même a plusieurs fois tonné. Seules, les batteries de Montmartre, des buttes Chaumont, et peut-être aussi celles de Vincennes ne se sont pas encore fait entendre ; elles réservent leurs munitions pour d’autres momens.

Devant une telle attitude de nos forts, et prévenu sans doute par ses espions que la ville est décidée à se défendre à outrance, l’ennemi hésite et cherche à deviner, inquiet, incertain, où est le meilleur point d’attaque. Sera-ce le Point-du-Jour, dont on a tant