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sept ans, il ne s’aperçoit pas qu’il calomnie ces militaires qui sont aussi nos enfans. La patrie en deuil n’élève la voix que contre les véritables auteurs du mal ; elle sait que les soldats français ne sont pas des janissaires, ni des soudards gagés. Et pourtant une déchéance morale commença pour eux et se développa lentement : la complicité dans la violence fut la plaie cachée ; le lien qui rattache l’armée au cœur du pays se relâcha peu à peu. Oui, notre armée était magnifique, quoique trop peu nombreuse, avant cette guerre qui l’a dévorée. Pourtant son éclat apparent couvrait de sérieuses défaillances, une discipline qui fléchissait, une légèreté trop commune dans les chefs, des soldats dont le bras était solide, mais dont l’oreille était ouverte aux jugemens sévères sur les généraux. Hier encore nous pouvions dire à notre brave et malheureuse armée :

Vers l’heureux but où Dieu nous mène,
Soldats, rêveurs nous vous poussions,
Tête de la colonne humaine,
Avant-garde des nations !…
Dans nos songes visionnaires
Nous vous voyions, ô nos guerriers,
Marcher joyeux dans les tonnerres,
Courir sanglans dans les lauriers ;
Sous la fumée et la poussière
Disparaître en noirs tourbillons,
Puis tout à coup dans la lumière
Surgir, radieux bataillons ;
Et passer, légion sacrée
Que les peuples venaient bénir,
Sous la haute porte azurée
De l’éblouissant avenir !

Voilà bien ce que rêvaient ceux qui ne condamnaient pas cette déplorable guerre, — des triomphes pour nos soldats, la sécurité pour l’avenir, l’affranchissement pour tous, même pour ceux que nous aurions combattus. Ces pensées généreuses pouvaient seules excuser la témérité patriotique des uns, la confiance imprudente des autres dans un gouvernement aveugle, — ces pensées n’étaient chimères.

Eh bien ! non, je rêvais. Illusion détruite !
Gloire ! Songe, néant, vapeur.
O soldats, quel réveil ! l’empire c’est la fuite…
Soldats, l’empire c’est la peur…
Adieu la tente ! adieu les camps ! plus d’espérance !
Soldats, soldats, tout est fini !

Non, tout n’est pas fini ; d’héroïques jeunes gens qui tenaient la