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décret de Madrid (16 décembre 1808), qui bannissait le Cavour de l’Allemagne d’alors, « le nommé Stein, » avaient vivement frappé les imaginations. « Napoléon n’eût rien pu faire de meilleur pour augmenter votre célébrité, écrivit Gneisenau au ministre fugitif. Vous apparteniez jusqu’à présent à l’état prussien ; désormais vous appartenez au monde civilisé, vous appartenez à l’histoire. » Les exécutions de Palm, le pauvre libraire qui avait recelé quelques exemplaires d’un pamphlet dirigé contre Napoléon, — de Staps, l’enfant exalté qui avait attenté aux jours du conquérant au milieu même de ses fidèles, — de Sternberg, qui avait quitté la chaire de professeur pour le mousquet du volontaire, — d’Andréas Hofer, le chef des paysans du Tyrol, fusillé dans les fossés de Mantoue, — les glorieux corps francs de Schill traités de « bandes de brigands » et condamnés comme des malfaiteurs, — la noire légion de la vengeance et sa marche aventureuse à travers l’Allemagne entière, — tout cela entretint l’esprit de révolte, même après la défaite, et, loin d’effrayer, répandit la colère et l’envenima. « Sortons de cette guerre, s’était écrié Napoléon, autrement nous serons entourés de mille Vendées. » Il ne se trompait pas : en dehors des corps irréguliers, des milliers de volontaires appartenant aux plus hautes classes de la société ou à la partie la plus éclairée du pays s’étaient enrôlés dans l’armée autrichienne. Wagram eut un retentissement d’autant plus douloureux que la bataille d’Aspern avait rallumé plus d’espoir ; toutes les correspondances, tous les mémoires de l’époque, sont unanimes à cet égard, et témoignent de l’exaltation des âmes pendant ces jours de malheur. L’historien Luden, dans son Retour sur ma vie, a vivement peint l’état singulier du pays en ce moment :


« Tout d’abord on avait été confus, éperdu ; on s’était vu sans appui, sans issue… Peu à peu les plaintes devinrent plus rares ; les pensées d’avenir se ravivèrent… Les sentimens les plus profonds, les passions les plus nobles finirent par se réveiller dans tous les cœurs. Une belle épuration morale en sortit ; on conçut de grandes résolutions, on supportait légèrement toute privation, aucune résignation ne semblait trop difficile, aucun sacrifice ne parut redoutable La vie que nous menions tous avait pris un singulier caractère, un charme qui me remplit encore de regret et de mélancolie… Plus les jouissances matérielles étaient mesquines et pauvres, plus les joies morales et intellectuelles qui s’offraient de toutes parts étaient riches et intenses. Tous les hommes furent plus intelligens et meilleurs qu’ils n’avaient été autrefois, qu’ils ne se montrèrent plus tard. Une seule pensée avait envahi toutes les âmes : la patrie ! mais cette pensée réveillait les plus nobles sentimens ; elle engendrait les plus sublimes vertus en tous, suivant l’esprit, la culture, la position de chacun… Tout orgueil, toute outrecuidance, toute